L'Inde intérieure

Résumé


Ce livre est constitué d'articles publiés ou de textes divers du Dr Jacques Vigne écrits entre 1990 et 2001 environ, qui ont tous un rapport avec l'Inde, et qui développent souvent certains aspects de relation entre la pensée indienne et Occident .  De par sa formation de psychiatre à Paris, le Dr Jacques Vigne s'intéresse bien sûr aux rapports de la psychologie occidentale avec le Yoga et la méditation, mais il est également intéressé par la relation d'enseignement spirituel à la suite de son premier ouvrage Le maître et le thérapeute (Albin Michel/Spiritualités vivantes, 1991). Dans ce sens, il développe en particulier la relation de maître à disciple dans le bouddhisme et étudie Krishnamurti en tant qu'enseignant spirituel..Inde intérieure doit être publié par Albin Michel en fin 2003 ou début 2004.

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[nous avons gardé les n°s de page pour donner une idée de l'importance relative des
  sections] 

INTRODUCTION 3
DE LA PSYCHIATRIE A LA MEDITATION : ENTRETIEN 7
 
 
 

MERE DIVINE ET RENONÇANTS 11
 
 

LA MERE DIVINE EN INDE 13
L'ANCIEN FRANÇAIS QUI EST DEVENU ANCIEN SELON LA SAGESSE DE L'INDE 17
LA VIE D'ERMITE 21
LE DARSHAN DE LA MERE 23
 
 

YOGAS 27
 
 

LE YOGA, UNE PRATIQUE SPIRITUELLE POUR LE TROISIEME MILLENAIRE 29
ITINERAIRE VERS L'HARMONIE 33
LES MANDALAS CONTEMPORAINS, MIROIRS DE LA PAIX 37
ZARATHOUSTRA OU L'ÉVEIL DE L'ÉNERGIE INTÉRIEURE 40
Notes 47
LES MONTURES DES DIEUX 48
Notes 54
REINCARNATION 55
LUMIERES DU VIDE 56
Notes 62
 
 
 

DU MENTAL A LA CONSCIENCE 67
 
 

DU MIEUX-ETRE A L'ETRE 69
MEDITATION ET GUERISON PSYCHOSOMATIQUE 72
Notes 76
DISCOURS SUR L'AME, SILENCE DE L'AME 77
MANIFESTE POUR UNE ECOLOGIE DE L'ESPRIT 82
 
 
 

RELIGIONS 85
 
 

NOUS AVONS VU SON ETOILE EN ORIENT 87
MAITRE ET THERAPEUTE 91
TOUS LES CHEMINS NE MENENT PAS A ROME 95
DES SECTES PSYCHOTIQUES A LA PSYCHOSE DES SECTES 100
ET SI LE REVE D'UNIR LES SPIRITUALITES DE L'HUMANITE DEVENAIT VRAI 103
Notes 105
 
 

LA FLEUR DU BOUDDHA LE SOURIRE DE MAHAKASHYAPA 107
 
 

LA VIE DU BOUDDHA 109
TOLÉRANCE ET AMITIÉ SPIRITUELLE 112
LA RELATION AVEC ANANDA ET LES DERNIERS JOURS DU BOUDDHA 116
LE BOUDDHISME THERAVADA 119
LAMAS ET DISCIPLES DANS LE BOUDDHISME TIBETAIN 121
LE BERCEAU INDIEN DU BOUDDHISME TIBÉTAIN 121
IL Y A LAMA ET LAMAS 122


L'ARCHETYPE DU LAMA TIBETAIN : LA LIGNEE DE MILAREPA 124
Les premiers gourous de la lignée Kagyupa : Savoir, écrit et transmission orale 124
Les débuts de la relation 125
La relation mûre 127
Transmission du pouvoir et dernières paroles 128
 

LA RELATION AU LAMA DANS LA PRATIQUE ACTUELLE 131
Le Gourou-Yoga et la Gourou-Pouja 131
Retrouver l'initiation véritable au-delà du matérialisme spirituel 132
 

LE GOUROU NÉ DU LOTUS : PADMASAMBHAVA ET LA TRADITION NYINGMAPA 134
TRANSMISSION DE LAMA À DISCIPLE ET INSTITUTIONS 137
LA VENUE DE LA VOIE TIBÉTAINE EN OCCIDENT 139
 

MAÎTRE ET DISCIPLE DANS LE ZEN 141
Qui est Maître ? 141
La transmission du Zen aujourd'hui 143
Le Zen : Ni méthode ni non-méthode 144
L'écrit, l'oral et la transmission directe. 146
"Grand doute, grand éveil, petit doute, petit éveil " 147
Dévotion, transgression et identification 147
La communication d'énergie 149
Il n'y a pas deux transmission qui se ressemblent 149
Dès qu'on entend parler de sa nature propre, on devrait la réaliser 150
" Les deux miroirs face à face s'illuminent l'un l'autre " 151
Les mots pour ne pas le dire 153
 

ANTHOLOGIE 156
 

Comment choisir un maître spirituel, d'après le Bouddha 156
L'âne qui avait pis la peau d'un lion, conte tiré des Jatakas 156
" Si tu reconnais les qualités du Gouru, tu les acquerras " - Marpa 157
"Grâce à l'enseignement de mon Guru j'ai l'esprit toujours heureux " - Milarépa 158
"Personne ne peut aider les autres avant d'avoir atteint la vision transcendante de la réalité" 159
"Si vous avez confiance, vous pouvez recevoir la grâce même de la dent d'un chien" - Kalou Rimpoché 159
A  quoi sert un maître Zen ? - Philippe Kapleau 160
"Trouvez un maître, tuez-le et devenez totalement vous-même" - Lin-Tsi 161
Le Roshi : Un être extraordinairement ordinaire - Un disciple de S. Suzuki 162
"Vous, c'est vous, moi, c'est moi, et pourtant nous sommes un " - S. Suzuki 162
La transmission de la flamme intérieure - Houang-Pô 163
NOTES 164
 
 

KRISHNAMURTI ETAIT-IL UN MAITRE SPIRITUEL ? 169

LA JEUNESSE DE KRISHNAMURTI 172
LA CRISE D'OJAI ET LE  'PROCESSUS' 174
L'ÉPISODE D'OOTY 177
LE DISCOURS D'OMMEN 179
LA PRATIQUE SPIRITUELLE DE KRISHNAMURTI 180
L'AGE MÛR : KRISHNAMURTI ENSEIGNANT SPIRITUEL 18
KRISHNAMURTI ET LA TRADITION INDIENNE 188
NOTES 194
 
 

L'INDE DU DEDANS 197

SE SOUVENIR DU SOI 199
FASCINATIONS INDIENNES 201
Le hatha-yoga 201
Mère l'Inde 201
La relation de maître à disciple 202
Le renoncement 203
 

QUELQUES ASHRAMS DE L'INDE D'AUJOURD'HUI 205
Notes 208
 

NOTES 211

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Extraits choisis
 

L'INDE DU DEDANS
 

L'Inde intérieure est un bien vaste sujet.  Cela fait maintenant une quinzaine d'années que je vis en Inde, à l'intérieur de l'Inde extérieure pourrais-je déjà dire.  Par ailleurs, le fait même que je sois dans un milieu traditionnel pour recevoir l'enseignement du Yoga et du Védanta signifie que j'aspire à connaître l'Inde intérieure de l'intérieur.  Pour la rédaction de mon premier livre 'Le maître et le thérapeute', j'ai fait un travail sur le terrain qui m'a emmené un peu partout en Inde durant les quatre années où j'ai préparé cet ouvrage.  Depuis, je voyage surtout en moi-même grâce à la méditation, mais l'Inde est là autour de moi, je baigne dedans et le journal que je lis souvent en hindi me donne une perception relativement directe du pays.




SE SOUVENIR DU SOI

On sait que les hindous ne désignent pas leur religion sous l'appellation d'hindouisme mais de sanatana dharma, c'est-à-dire de loi éternelle.  Le même terme sanatana est appliqué à l'Atman, au Soi dans la Bhagavad-Gîtâ par exemple.  Ce Soi est au centre de l'Inde intérieure.  Même le Bouddha qui insistait sur l'impermanence reconnaît qu'il y a un non-conditionné, un non-né grâce auquel on peut sortir du monde de la naissance et du conditionnement (The Udâna Buddhist Publication Society, Kandy, Sri Lanka, 1990 8-3, p. 109).  Quand il dit que les objets extérieurs comme intérieurs, le mental est dépourvu de Soi, il n'a pas de démarche fondamentalement différente de celle des Upanishads qui amènent le disciple à comprendre progressivement que le Soi est au delà du corps, du prâna, du mental etc.  De plus, le bouddhisme Mahâyâna avec les notions de dharmakâya (corps de dharma) ou de tathâgata-garbha (matrice de 'celui qui a été ainsi', c'est-à-dire le Bouddha) se rapproche encore plus de la conception upanishadique du Soi.

Dans la Gita (VIII, 11) Krishna dit à Arjuna : 
'Cela' dont parlent les connaisseurs des Védas
'Cela' dans lequel pénètrent les ascètes aux passions dépassées,
'Cela' pour le désir duquel on suit la voie du brahmâchârya ('brahmâchâryam charanti')
Ce but, je vais te l'évoquer en bref'

L'Inde intérieure a bénéficié d'une stabilité considérable en bonne partie à cause de sa capacité à ce concentrer sur 'Cela' quel que soit le nom qu'on lui donne, quels que soient les rituels, méditations et sâdhanâs par lesquels on y arrive.  Il faut bien comprendre que ce 'Cela' n'est pas un simple objet de discussion philosophique et savante, mais il est l'objet d'une recherche passionnée comme le Divin l'est dans la voie de la dévotion.  Ainsi, le Soi des mystiques de l'Inde est bien différent du Soi des psychologues jungiens, qui est en théorie un élément important de l'appareil psychique mais sur lequel en pratique ils oublient le plus souvent d'insister, ayant l'esprit trop occupé par les complexités sans fin de la cure analytique. Le Soi est ce qui rend possible le fonctionnement mental et non pas l'objet de conscience. " Ce n'est pas ce que l'on voit, mais ce grâce à quoi l'on voit, qui est le Brahman ".

Cela me remet en mémoire la sagesse non dénuée d'humour du Patriarche Houeï-Neng qui conseillait à ses disciples qui partaient prêcher : "N'oubliez pas de parler de la nature du Bouddha, sinon on croira que vous l'avez oubliée" (Houeï-Neng. Sermons, Albin Michel, Spiritualité vivantes, Poche).

Une façon courante dans l'occident moderne 'd'oublier le Soi' est de remplacer une démarche mystique expérientielle par de l'histoire de la mystique.  Celle-ci a sa place, surtout pour clarifier les idées des chercheurs débutants, mais elle ne doit pas avoir la priorité à long terme, car elle réduit à des liens de causalité finalement temporels un Soi qui est essentiellement en dehors du temps.  Dans une société plutôt rationaliste, l'histoire de la mystique est un moyen décent, rassurant de s'occuper de 'ces choses' qui correspondent à l'expérience intérieure, mais elle ne la remplace pas : autant le dire d'emblée pour ne pas égarer les autres et ne pas non plus se duper soi-même.

FASCINATIONS INDIENNES

Nous allons tenter d'évoquer maintenant ce qui amène divers chercheurs spirituels à se diriger vers l'Inde, ce qui a amené ce disciple de Ma Anândamayî auprès duquel je vis, Vijayananda, à rester là-bas depuis une demi-siècle et ce qui m'a poussé moi-même à y faire mes pratiques spirituelles et mes travaux d'écriture depuis une quinzaine d'années,  comme je l'ai déjà mentionné plus haut.
 

Le hatha-yoga

Pour beaucoup, c'est un premier contact avec les traditions de l'Inde. 
Dans mon expérience, il est arrivé un moment où la pratique des postures et du prânâyâma a pris une telle importance dans ma vie intérieure que je me suis mis à avoir un désir naturel de mieux connaître cette tradition qui en a fait un des premiers échelons dans la montée vers l'Absolu.  A ce moment-là, j'ai découvert le contexte spirituel de l'Inde, avec la liberté de choix entre voie dévotionnelle et voie de la connaissance qui a manqué cruellement à l'Occident chrétien, nous y reviendront ci-dessous.  Je me suis aperçu aussi que le hatha-yoga nécessitait des fondations de discipline de vie solide pour porter tous ses fruits, les yâma-niyama-s, et j'ai mieux compris grâce à cela, l'origine de certains blocages ou obstacles dans mon évolution par le yoga.
 

Mère l'Inde

Une des appellations la plus courante de leur pays par les hindous est Bharat Mata, 'Mère l'Inde'.  Au XIXe siècle, un certain nombre de penseurs occidentaux ont espéré trouver dans l'Inde le berceau des civilisations, et dans le sanskrit la langue-mère, la langue originelle.  Certes, il s'est avéré que les choses n'étaient pas si schématiques, mais il n'en reste pas moins que le sanskrit du Rigvéda, qui est encore chanté couramment dans les temples et les écoles védiques de l'Inde, est la langue indo-européenne encore en usage qui est la plus proche du proto-indo-européen.  Par ailleurs, les cultes de la Mère divine qui ont été éliminés du bassin méditerranéen et d'Europe par l'expansion des religions du Livre s'est poursuivi continûment en Inde, en particulier au Bengale, dans l'Himalaya et au Kérala sous forme du Shaktisme.  Il n'est pas interdit de considérer que par cette religion de la Mère, nous touchons de près la religion-mère.  Il est vrai que la situation de la femme est pour le moins paradoxale en Inde, à la fois déesse et esclave.  En cette période même ou j'écris ce texte, la loi, pour accorder 33% des sièges du Parlement, d'office aux femmes, est débattue avec acharnement ; les partis sont à peu près d'accord pour la faire passer, mais doivent s'entendre sur certains points litigieux.  Si cette loi est acceptée, cela entraînera un changement à long terme pour le mieux dans la politique indienne.  Ce quota est déjà en vigueur au niveau des conseils municipaux depuis plusieurs années et une amélioration de la gestion des communes s'est déjà fait sentir.  La France, fière pourtant d'être le pays de la Liberté et de l'Egalité n'en est pas encore à se poser même la question de donner de droit une telle importance aux femmes dans ses assemblées législatives.  Ceci dit, au moment où je révise ce texte, en 2001, la loi n'est toujours pas passée : il semble qu'aucun parti ne soit sincère à son propos, sinon ils appliqueraient le quota d'un tiers de femmes à leur propres élections internes, mais aucun ne l'a fait.
Indépendamment de l'histoire religieuse et de la politique, le charme de la femme indienne contribue beaucoup à la fascination de l'Inde chez un grand nombre d'occidentaux, y compris chez les jurys de concours de beauté internationaux.  On peut trouver bien des raisons pour cela : l'aspect souriant, pudique, enfantin très répandu chez la femme indienne, mais pourquoi ne pas évoquer directement ce qui se trouve derrière tout cela, c'est-à-dire son côté mystique ? Par l'impression que produit sur lui la femme indienne, l'occidental est ramené, une fois de plus, à l'Inde intérieure de façon indirecte.
Notre siècle a vu se développer les femmes gourous.  La plus connue au cours du XXème  siècle a été Ma Anândamayî, et maintenant Ma Amritanandamayi du Kérala est célèbre dans le monde entier.  Tout récemment, en mai 98, le Premier Ministre de l'Inde est venu en personne pour inaugurer un hôpital charitable qu'elle a créé dans une grande ville près de son ashram.  L'essor de ces femmes gourou se comprend mieux dans le contexte religieux d'adoration de la Mère divine non seulement chez les Shakta, mais dans l'hindouisme quotidien populaire en général.
 

La relation de maître à disciple

Quand elle fonctionne bien, la relation de maître à disciple est le meilleur des systèmes de transmission spirituelle.  Partout où la vie mystique a été intense, cette relation s'est épanouie.  Certes il y a de nombreuses déviations, mais en Inde, on connaît traditionnellement les devoirs respectifs du gourou et du disciple, et cela limite les problèmes sérieux.  On sait qu'on doit étudier longtemps le comportement d'un gourou dans la vie quotidienne avant de lui faire complètement confiance.  Les Ecritures sont remplies d'histoires et de réflexions permettant de résoudre les tensions ou les ambivalences qui peuvent survenir au fur et à mesure du développement de la relation.
Les institutions religieuses ont aussi leurs déviations, que ce soit dans le christianisme comme dans le bouddhisme.  Même une bonne institution religieuse ne pourra pas transmettre ce que peut transmettre un bon maître spirituel.  Il y a un moment où la relation doit être de personne à personne, au moins pour ceux qui ne se contentent pas d'une religion sociale mais veulent un véritable épanouissement mystique.  A mon sens, l'insistance sur la souffrance dans la mystique monastique chrétienne vient en bonne partie de la primauté des règles et des contraintes institutionnelles sur la relation vivante de maître à disciple.  Ajouté à la loi de clôture que l'Eglise a imposé à ses moines et moniales depuis le XIIIe siècle, cela crée un climat plutôt sec dont le moine pâtit et qu'il essaie de compenser ou justifier en développant une mystique de la souffrance. Cela n'explique pas tout, mais correspond à mon sens à une difficulté du monachisme chrétien habituel. 
Je sais bien que l'occidental moyen critiquera la notion de maître spirituel comme étant synonyme de dépendance.  Mais dans la vraie relation, la dépendance est à la phase de début.  Il s'agit d'un transfert affectif qui permet à l'aspirant de se détacher de ses autres liens et dépendances.  Après, il tient sur ses propres jambes et devient mûr en particulier pour l'expérience de solitude qui lui fera faire des progrès spirituels considérables.
Quand je revois à partir de l'Inde où je vis les chercheurs spirituels français actuels, l'image d'indépendance qu'ils voudraient donner d'eux-mêmes me fait sourire ; je vois chez eux une dépendance considérable déjà vis-à-vis du matériel.  Ce n'est pas facile d'être renonçant libre financièrement dans la France d'aujourd'hui.  Il y a donc présent chez tous ce souci de gagner son pain.  En Inde, le système religieux protège non seulement le moine en institution, mais aussi jusqu'à un certain point le mystique errant.  Vient ensuite la pratique du célibat, recommandée par la plupart des traditions pour ceux qui veulent s'engager à fond dans la vie mystique, et qui reste malgré tout une preuve éminemment concrète d'indépendance, au-delà de tous les discours quand il est vécu sincèrement et réussi.  En Occident, le vrai célibat paraît pratiquement impossible non seulement à la plupart des disciples, mais aussi, curieusement, à la plupart des enseignants spirituels.  Où a disparu l'indépendance dans tout cela ? On ne veut aucune dépendance envers un maître qui a une grande pureté mentale et est dépourvu de possessivité, mais on finit par se soumettre à son partenaire qui vous fait une scène et vous impose son ego exacerbé, ne serait ce que pour avoir une paix momentanée.  Rajoutons à cela la dépendance envers le journal qu'on lit tous les jours, l'intoxication médiatique chronique et de temps à autre aiguë, et pour les chercheurs en chemin, les modes et enthousiasmes superficiels reflétés dans la presse spirituelle, qui sont souvent également des formes de limitations ou de distorsions.
Nous avons déjà mentionné plus haut la dépendance des moines vis-à-vis de leur communauté, mais à mon sens, même les laïcs qui suivent les religions du Livre son trop tributaires de la communauté.  C'est elle qui est le garant ultime de la tradition et non pas comme en Inde le gourou   quand il a une réalisation authentique.  Cela implique toutes les limitations d'une dépendance à l'opinion et à la politique communautaire, ce qui peut être particulièrement lourd, pour le conscient comme pour l'inconscient, quand cette communauté a pris la dimension d'une église universelle ou est fortement identifiée à une nation comme en Arabie Saoudite ou en Israël.
Dans mon expérience de période de solitude un peu prolongée, j'ai pu constater que les lectures ou les enseignements religieux généraux passaient au second plan par rapport à la parole du maître spirituel qui a traversé avant vous l'expérience érémitique.  En ce sens, on dit en Inde 'Mantra-mulam guru-vakyam' 'la racine du mantra, c'est la parole du gourou'.  Nous avons vu que lorsque Milarepa a quitté la maison de son maître Marpa où il avait vécu avec lui, ainsi qu'avec sa famille et ses autres disciples et qu'il s'est mis à vivre dans des grottes, il a dit à peu près ceci : "Je suis heureux de ma solitude car elle me permet de méditer continûment sur mon gourou".  Quand il était dans le chahut de la vie communautaire dans la maison de Marpa, il avait du mal à le faire.  Je comprends que ces notions soient difficiles à saisir par ceux qui n'ont pas l'expérience de la méditation intensive, mais cela n'empêche qu'elles correspondent à une réalité.
On me demande parfois s'il y a des chrétiens qui vivent actuellement l'expérience qu'avait vécu le Père Le Saux avec Swami Jñânananda, c'est-à-dire de moine chrétien recevant l'enseignement d'un maître hindou.  Il y en a, je connais par exemple près d'Hardwar où j'habite souvent Vandana Mataji à Rishikesh.  Elle a vécu pour des périodes prolongées à l'ashram de Shivananda.  Il y a aussi maintenant un ermite plus jeune originaire de Bruxelles à Rishikesh, qui reste prêtre catholique, mais suit l'enseignement d'un moine hindou ayant lui-même été longtemps ermite.  A cause de son type de vie, il ne souhaite pas recevoir de visiteurs.  Il y a d'autre chrétiens, soit indiens, soit occidentaux qui apprennent en profondeur de l'hindouisme, j'ai mentionné juste là deux d'entre eux que je connais personnellement.
 

Le renoncement

Dans mon choix de rester en Inde a certainement beaucoup compté la possibilité d'y expérimenter une vie de renoncement indépendante.  Il faut déjà dire qu'en Inde, le renoncement est pris au sérieux par la population, ce qui dans l'ensemble n'est plus le cas en Occident.  Les gens savent que le brahmâchâri développe une alchimie intérieure qui lui donne une énergie considérable pour la recherche spirituelle, et aussi pour le travail intellectuel et la vie pratique.  Ce ambiance de respect est une aide.
De plus, vivre dans un pays étranger est une forme de renoncement en soi, c'est ce que les Pères du désert appelaient la xénitéia, nous l'avons mentionné auparavant.  Ils la recommandaient pour se détacher de conditionnement sociaux et familiaux profonds.  En Inde aussi, on conseille aux sannyasis de visiter des régions dont ils ne parlent pas la langue pour faciliter leur détachement de la vie sociale.  Quand on ne parle pas la langue, ou que les autres croient que vous ne la parlez pas, on maintient bien plus facilement une bonne qualité de silence.  Cela ne veut pas dire qu'il faille errer sur les routes comme le font un certain nombre de sannyasis indiens.  Pour un occidental, ce serait plutôt dangereux et innapproprié, car pourquoi venir de pays riches pour mener une vie de mendicité dans un pays pauvre ?
Cela ne veut pas dire que la question du rapport au monde ne se pose pas quand on suit lenseignement du Yoga ou du Védanta en Inde.  Il faut savoir que 95% des fidèles de sages hindous sont des gens mariés et certains sont très proches de leur gourou, lui-même renonçant. 
La pratique de la non-dualité dans le monde n'est pas une découverte des enseignants occidentaux actuels, elle est une nécessité évidente dans l'entourage des maîtres indiens aussi.  Il faut également comprendre que le renonçant en Inde est dans une relation paradoxale à la société : par exemple, ce Swami Nirgunânanda qui est un disciple du cercle intérieur de Ma Anânandamayî.  Il vit dans l'Himalaya en altitude et il y a très peu de gens qui résident de façon un peu prolongée chez lui, à part moi-même qui y suis maintenant de plus en plus souvent.  Il est donc isolé.  Mais quand il descend l'hiver, invité par un gourou des bords de la Narmada, (une rivière sacrée du centre de l'Inde) qui était ami de Mâ Anandamayî pour faire une puja particulière, il y a 6000 personnes qui viennent y assister, afin d'avoir le darshan, de pouvoir voir l'ermite de l'Himalaya.  C'est ce que j'entends par le relation paradoxale du renonçant à la société hindoue. Les jaïns et les bouddhistes qui ont une forte interaction entres laïcs et moines ont développé des formes religieuses très stables.
Le mot même de 'sannyas' est riche en connotations positives 'Nyâs' signifie déposer, c'est comme se soulager d'un fardeau, se défaire de sa valise une fois qu'on est monté dans le train pour que ce soit le train et plus soi-même qui la transporte.  Nyâs signifie aussi installer le Nom de Dieu (mantra) et son image dans chacune des parties du corps.  C'est un rituel très courant dans les pratiques quotidiennes au début de la prière rituelle, qui a été repris dans des méthodes comme le yoga-nîdrâ. Sam-nyâs signifie donc installer complètement le Divin en soi, marquer sa mémoire profonde de son empreinte, de son sceau.
Renoncer est une libération intellectuelle aussi.  Par exemple, en tant que psychiatre de formation, j'ai étudié avec sérieux la psychopathologie mais maintenant j'ai renoncé à cette approche lourde du mental pour suivre la voie traditionnelle du Védanta qui cherche à se relier le plus directement possible, le plus légèrement possible au non-mental et pour moi cela a été une grande libération.
Il faut se souvenir que renoncement et joie sont les deux faces de la même pièce : dans la tradition de Shankara, les sannyasis ont un nom qui se termine par 'ânanda' signifiant 'félicité'.  Au début de l'Isha Upanishads il y a une formule célèbre qui dit 'téna tyaktena bhunjatah' 'Après avoir renoncé, trouve la joie' (la racine 'bhog' évoque le partage de la nourriture en particulier offerte pour un sacrifice).  C'est sans doute parce qu'une autre parole exprime bien le sens profond du renoncement que Ma Amritanandamayi l'a choisie comme devise de ses ashrams 'tyyagena amritâvashnute' 'par le renoncement, on obtient l'immortalité'.
 

La non-dualité

J'ai déjà abordé avec quelque détail l'importance de la non-dualité pour renouveler la spiritualité de l'Occident d'aujourd'hui dans le Question n° 100. Dans le 'Marcher, méditer, avec Michel Jourdan, Albin Michel/Espaces Libres 1997' j'envisage également les rapports de l'hésychasme, du yoga et du Védanta.  On peut dire que la voie de la Connaissance a été mise de côté par deux mille ans de christianisme et qu'elle ressort maintenant en particulier grâce à l'approche bouddhiste qui indique une possibilité de libération par l'observation directe de son propre mental, sans référence à une personne divine envers laquelle on cherche à éveiller une dévotion.  Le Védanta, en ce sens, est proche du bouddhisme.  On surnommait parfois Shankarâchârya qui a structuré la philosophie non-dualiste au VIIIe siècle de notre ère environ, un 'bouddhiste déguisé en hindou'.  Par ailleurs, nous avons déjà mentionné le fait que la Mahâyâna a repris l'enseignement upanishadique a son compte.  Il s'agit donc du même bain culturel.
Certes, un nombre croissant de chrétiens étudient Maître Eckhart qui donnait un enseignement tout à fait non-duel, réussissant ainsi dans le contexte chrétien une sorte de quadrature du cercle.  Mais il n'est pas facile de faire revivre un enseignement après sept ou huit siècles d'interdit.  Pour un contact avec des traditions non-duelles transmises de façon ininterrompue, le chercheur occidental doit en pratique se tourner.
 

QUELQUES ASHRAMS DE L'INDE D'AUJOURD'HUI

On pose souvent la question : 'si je dois aller en Inde pour ma recherche spirituelle, dans quel ashram me rendre ?'  Répondre à cette question est délicat car cela amène à faire des choix.  Cependant, il y a une sorte de consensus parmi les occidentaux qui connaissent bien "l'Inde spirituelle", et je peux donner quelques indication à ce sujet, avec certes plus de détails pour la régions où je vis.  Pour un panorama plus complet, il faut attendre la réédition du livre fort utile de mon ami Muz Murray 'Seeking the Master - A guide to the ashrams of India' plein d'informations.  Il y a aussi le guide plus récent 'From there to Nirvâna' publié par Bantam Books aux Etats-Unis qui donne des informations utiles.

Avant de préciser quelques lieux, il n'est pas inutile de livrer certaines  réflexions sur l'hindouisme actuel.  Il semble qu'il y ait un double courant : les pressions de la vie moderne éloignent une partie de la population, surtout dans les villes, des pratiques et du style de vie traditionnel.  Mais en même temps, le développement des moyens de communication et la maturité du pays après un demi-siècle d'indépendance, favorisent une prise de conscience de l'identité hindoue, non seulement à l'intérieur du pays, mais aussi chez les émigrés.  Il faut ajouter que les missionnaires chrétiens occidentaux sont repartis chez eux, l'idéologie marxiste qui semblait à la pointe du progrès il y a quelques décennies a sérieusement régressé en Inde aussi, le terrain est donc favorable pour une affirmation de l'hindouisme en tant qu'hindouisme comme il a eu peu l'occasion de le faire depuis le douzième siècle où le pouvoir politique a appartenu à des non-hindous.  Cette identité peut prendre des aspects négatifs, l'opposition pure et simple à ce qui est non-hindou.  Pour cela, on aimerait voir les politiciens arrêter d'attiser le conflit Inde-Pakistan de part et d'autre ; cela fait trop penser à la situation entre la France et l'Allemagne de 1870 à 1945.  On aimerait aussi que les petits politiciens cessent d'exciter les populations contre les missionnaires chrétiens, qui maintenant sont presque tous indiens.  La violence pure ne résout rien, il serait plus utile pour les hindous de faire leur examen de conscience pour savoir pourquoi les chrétiens ont un certain appel pour les sections négligées de leur société, les basses castes et les tribus qui représentent peut-être 20% de la population.  Mais la prise de conscience d'une identité hindoue a aussi des aspects positifs.  D'après des voyageurs qui ont baroudé dans la plupart des pays d'Asie, l'Inde a été la mieux capable de conserver sa personnalité culturelle en face d'une globalisation nivelante par le bas tout en se modernisant jusqu'à un certain point.  Je ne pense pas que l'idée occidentale moderne selon laquelle la politique doit être complètement séparée de la religion est juste ; Même en Occident, elle ne correspond pas à la réalité.  Il y a bien des pays d'Europe où il existe des partis démocrates chrétiens, et cela ne fait pas sombrer la démocratie pour autant.  Et d'après Edward Saïd, un fameux professeur d'orientalisme qui habite aux Etats-Unis, ce pays est intégriste, en ce sens qu'il y a des groupes de pression religieux, c'est-à-dire des Eglises aux idées rigides, qui sont très influentes dans les cercles du pouvoir.  Malgré cela, il s'agit quand même d'une démocratie. Je pense que l'hindouisme est en fait, et à long terme, plus compatible avec la démocratie que le christianisme, car  le christianisme a l'intolérance intrinsèque, si je puis dire, de vouloir convertir alors que l'hindouisme ne l'a pas.  Evidemment, en pratique, il faut voir si l'hindouisme est capable de prendre ses distances par rapport à une conception nationaliste étroite de l'Inde - et explosive éventuellement, au sens atomique du terme.  Il est sûr que bon nombre d'hindous convaincus en sont capables, reste à savoir si ce sera la majorité.

Pour en revenir à la religion, on peut noter qu'on n'a jamais construit autant de temples hindous qu'en ce moment en Inde bien sûr, mais aussi aux Etats-Unis où il y a entre un million et un million et demi d'émigrés indiens.  A Hardwar où je suis, à l'endroit où le Gange sort de l'Himalaya, les ashrams poussent comme des champignons, cela ne veut pas dire bien sûr que leur qualité spirituelle soit assurée.  Les études indiennes en Inde ne se portent pas si mal, bien que, comme il se doit, les départements d'université se plaignent du manque de crédits.  Pour ce qui est des études sanskrites, il y avait environ deux mille sites Internet il y a deux ans, l'année dernière il y en avait dix mille.  C'est encourageant, surtout quand on se souvient des plaintes de Vivekananda à la fin du XIXe siècle au Bengale : il disait qu'à l'époque on avait toutes les peines du monde à simplement trouver des livres en sanskrit.

 Venons-en maintenant aux ashrams :

L'ashram qui se développe le plus autour d'un fondateur vivant en ce moment est celui d'Amritanandamayi, une femme de 47 ans, vivant au Kérala, entre la lagune et la mer.  La voie qu'elle enseigne en pratique est la bhakti, les chants et la récitation des mille noms de la Mère divine font partie de la pratique quotidienne.  Le darshan d'Amma, comme on l'appelle, est le moment clé des journées, il permet d'avoir un rapport direct avec elle, même s'il est bref et le plus souvent silencieux.  Amma conseille un petit peu de pratique de hatha-yoga.  Elle passe depuis plusieurs années à Paris en juillet et en novembre, et sans doute, un certain nombre des lecteurs l'ont déjà rencontrée.  Il faut savoir que l'ashram compte maintenant un millier de résidents sans inclure les visiteurs ; cela a l'avantage de donner une certaine intensité aux événements qui s'y passent, mais ne manque pas de poser nombre de problèmes pratiques et de servitude dues à la vie dans la foule  (1). 
Toujours au Kérala, les occidentaux vont volontiers visiter un ashram beaucoup plus paisible, Anandashram, l'ashram de Râmdas près de Kanhangad dans le nord du Kérala à quelques kilomètres de la côte.  Swami Satchidânanda a reçu le sannyas de Ramdas et succède à Mère Krishnabai.  La pratique est la récitation du mantra de Râm, dont parle si bien Râmdas dans ses 'Carnets de pèlerinage' (Albin Michel)  (2). 
L'ashram de Râmana Mahârshi est à Tiruvanamalai, au Tamil Nadu.  Il garde l'empreinte sereine du maître décédé en 1950.  Les chercheurs spirituels qui sont là-bas font en général une sâdhanâ par eux-mêmes.  Les disciples directs de Râmana se font rares  (3) Ecrire avant si l'on veut résider à l'ashram, car il y a beaucoup de demandes.
Swami Nityânanda de Thapovanam, près de Tiruvanamalai est un Swami d'une soixantaine d'années qui succède à Jnânanda, le gourou du Père Le Saux.  Il est un bon représentant de la tradition de l'Inde, mêlant la connaissance intellectuelle solide et une grande expérience de sâdhanâ.  Il a l'habitude du contact avec les occidentaux et a été invité dans des monastères chrétiens dans le cadre du dialogue inter-religieux. (Shri Jnanananda Niketan est à 4 km avant Tirukovillur quand on va de Tiruvanamalas à Pondicherry par la route du sud).   (3bis) 
Dans le nord, ceux qui veulent pratiquer le yoga vont volontiers à Rishikesh.  Bien qu'il y ait un grand nombre d'ashrams là-bas, les bons centres pour le hatha-yoga ne sont pas si nombreux.  Citons cependant l'Himalayana Institute de feu Swami Râma  (4) qui donne un enseignement bien structuré.  Swami Râma est connu pour avoir fait le pont entre Orient et Occident de multiples façons.  On m'a recommandé aussi le cours de Satchi à Yoga Niketan, près de Shivanandashram .  Dans ce dernier lieu, on trouvera un ensemble d'activités et de discours religieux et une bonne bibliothèque, mais la qualité des cours de hatha-yoga varie avec celle des professeurs et ils changent, c'est donc difficile de donner un avis.  A l'ashram de Shivananda, les francophones intéressé par l'Advaita Vedânta vont souvent rencontrer Swami Muktananda qui est québécois d'origine.  (6) A quatre kilomètres au nord de la ville de Rishikesh sur les bords du Gange, à Lakshaman Jhula, il y a le petit centre de Vanamalai avec une vue splendide sur le fleuve et les montagnes.  Les enseignants prennent des tout petits groupes de débutants pour une initiation à l'hindouisme d'une semaine en résidentiel.  Vu le nombre réduit de places, il vaut mieux écrire d'avance  (6). 

Toujours à Laxman Jhula se trouve Vandana Mataji qui vit dans un tout petit ashram ; elle est disciple du Père Le Saux et de Swami Chidananda.  Malgré l'âge qui avance, elle continue à recevoir les chercheurs sérieux tous les jours après 16h30, sauf en mai-juin où elle est plus haut dans les montagnes.
Près de Dehra-Dun, à l'endroit où la Yamuna sort de l'Himalaya se trouve le nouvel ashram de Chandra Swami, dont le livre majeur d'entretiens 'Le Chant du silence' a été publié récemment aux Editions du Relié.  Il a longtemps vécu comme ermite sur une île au milieu des bras du Gange et répond aux questions seulement par écrit car il observe le silence.  Il y a régulièrement des Français chez lui   (8). 
Pour  ceux qui voudraient une expérience plus solitaire dans l'Himalaya, il y a l'ashram de Ma Anandamayî à Patal Devi, près d'Almora.  Le sannyasi responsable est Nirgunânanda qui est depuis 14 ans ermite en Himalaya.  Depuis trois ans, il se trouve qu'il va donner un enseignement en France chaque été pendant une semaine. 
L'ashram de Ma Anandamayî près de Hardwar où je suis le plus souvent depuis dix ans est connu aussi des Français à cause de Vijayananda, le disciple occidental vivant actuellement qui a été le plus proche de Ma.  On pourra lire son livre 'Un Français dans l'Himalaya' paru aux éditions Terre du Ciel.  Il y a maintenant un Centre International près de l'ashram où on peut loger. Swamiji a maintenant 86 ans, il ne répond en général pas au courrier, mais il continue de recevoir chaque soir les visiteurs sérieusement intéressés par l'enseignement de Mâ Anandamayî. 
Pour ceux qui sont intéressés par l'enseignement du Père Le Saux, il peuvent contacter à Vidya Jyoti, dans la partie nord de Delhi, le Père Gisper-Sauch, qui est relié à sa fondation en Inde   (12) 

Les visiteurs éventuels de ces différents lieux doivent comprendre la différence entre les grands ashrams où on peut aller 'pour voir' et se faire une idée, même si on n'a pas écrit auparavant, et les petits ashrams ou ermitages autour d'une personne donnée où il vaut mieux avoir une forte motivation et une certaine expérience de méditation avant de s'y rendre et de prendre le temps d'un yogi qui par ailleurs est ermite et est engagé dans sa propre sâdhanâ.

Le contact avec une spiritualité différente comme celle de l'Inde permet de mieux prendre conscience de ses conditionnements, voir de ses propres mythes.  Nos constructions culturelles sont comme des bâtiments, quand on les voit de l'extérieur on en apprécie mieux la forme générale et la situation.  Cette connaissance entraîne une tolérance.  L'intolérance vient souvent de l'ignorance.  Bien des problèmes de rapports entre les religions se résolvent d'eux-mêmes quand on cesse de les considérer comme des idéologies pour les vivre comme des sources de l'expérience intime.  C'est en ce sens que j'ai été heureux d'écrire aujourd'hui 'Inde intérieure'.  Le moteur commun de l'expérience mystique dans diverses traditions est l'amour et le renoncement : quand on se détache d'éléments culturels certes au départ différents, on finit quand même par converger dans un espace commun.  Ramana Maharshi disait : 'Les religions sont des fleuves, et l'océan dans lequel elles confluent, c'est le silence'. 
 

Ce texte correspond à la conclusion de "L'Inde des Religions" de la "Revue française de Yoga " paru en 1999 chez Dervy.
 
 

ZARATHOUSTRA OU L'ÉVEIL DE L'ÉNERGIE INTÉRIEURE
 
 

Le but de ce travail est d'étudier la personnalité et l'évolution intérieure du Zarathoustra de Nietzsche du point de vue de la psychologie spirituelle et de le mettre en parallèle avec la progression vers l'Eveil dans le yoga et le bouddhisme : ces voies proposent de transcender l'humain sans pour autant faire référence à un Dieu personnel. 

Nietzsche déclare dans Ecce Homo  : "Tout mon Zarathoustra est un dithyrambe à la solitude ou, si l'on m'a compris, à la pureté".   Nous essaierons donc d'esquisser à travers cette étude une psychologie de la solitude, une compréhension de sa fonction spirituelle, de sa grandeur et de ses risques, de ses crêtes et de ses précipices.  La retraite pour raison spirituelle est un phénomène spécifique qui n'a pas été étudié, que je sache, par la psychologie habituelle.La solitude intensifie les contenus de l'âme, elle peut faire sombrer dans la folie comme elle peut éveiller la "grande joie".

J'ai parlé dans le sous-titre "d'éveil de l'énergie intérieure".  En effet, "Ainsi parlait Zarathoustra" est plus un poème mystique profondément vécu qu'un ouvrage de philosophie ; dans Ecce Homo, Nietzsche dit qu'il est lui-même Zarathoustra.  Chacune des quatre parties de l'ouvrage a été écrite en continu, on sent qu'elles sont traversées par un souffle peu ordinaire, un vent tempétueux qui renverse les haies clôturant les champs étroits de nos petits savoirs.  Il serait artificiel de vouloir en tirer un système philosophique solide, tellement les déclarations contradictoires abondent d'une page sur l'autre, quand on lit attentivement le texte.  Par contre, un parallèle entre Zarathoustra et la philosophie ainsi que la psychologie spirituelle de l'Inde me semble intéressant ; En effet, la notion de samsara (monde cyclique) et de moksha (libération par la voie du yoga en particulier) peuvent fournir une base philosophique ferme pour les intuitions d'éternel retour et de surhumain.  De même, la philosophie bouddhiste de la vacuité, la voie védantique du "Qui suis-je ? " (Question à laquelle le méditant répond "Pas cela, pas cela") peuvent être rapprochées raisonnablement de l'aspiration constante du dépassement qui insuffle la pensée de Zarathoustra.  Nietzsche, comme un de ses principaux inspirateurs Schopenhauer, avait réfléchi sur la philosophie de l'Inde qui est essentiellement spirituelle.  Par contre, il n'a pu expérimenter les pratiques du Yoga et de la méditation qui n'étaient pas enseignées à son époque en Occident : avoir l'aspect théorique sans le côté pratique peut être facteur de déséquilibre.

Nietzsche a le don des formules : je ne me suis pas privé d'en citer un certain nombre ; le "Zarathoustra" a été ma source unique de référence.  J'ai pensé que ces formules, telles les fleurs d'un bouquet, pouvaient être contemplées en elles-mêmes ; d'ailleurs, Nietzsche les trouvait séparément et les notait dans un carnet quand il marchait dans la nature.  Le choix que j'en ai fait est bien sûr le mien ; à travers les paroles de Zarathoustra, j'ai pu illustrer certains thèmes de psychologie spirituelle digne d'être médités à mon sens.
 

Les manifestations de l'énergie intérieure

L'énergie intérieure est comme le printemps ; on ne peut l'apercevoir directement, mais on en voit les effets sur la nature humaine.  En Inde, l'énergie intérieure est symbolisée par un serpent de couleur argentée brillante, la Kundalini, "celle qui est lovée".  Lorsqu'elle s'éveille, elle se déroule à partir du bassin pour s'élancer le long de la colonne vertébrale vers le troisième oeil et le sommet de la tête.  Zarathoustra, quant à lui, reçoit de ses disciples "un bâton à la poignée d'or avec un serpent enroulé"     Ses animaux "totémiques" sont le serpent et l'aigle.  Le fait que le serpent soit lové autour du cou de l'aigle peut symboliser que l'énergie intérieure a déjà fait un bon chemin dans sa montée vers l'Absolu ; étant "arrivée" près de la tête.  De plus l'éveil du troisième oeil peut être associé au regard perçant de l'aigle qui permet de voir les moindres formes au fond des vallées.  Le ciel où évolue l'oiseau correspond dans le microcosme corporel à l'éveil de la face supérieure de la tête induisant des états d'extase (samâdhi).  L'attaque de l'aigle évoque la précision et l'efficacité avec laquelle le sage qui a l'énergie intérieure éveillée agit dans le monde.  Du point de vue absolu, l'énergie est disponible toujours et partout, mais du point de vue relatif, elle obéit à des règles de circulation qui peuvent servir de point de repère au méditant dans sa pratique.

L'éveil intérieur de cette énergie représente un bouleversement qui n'est pas dépourvu de souffrance : "Ainsi, les mois et les années passèrent pour le solitaire ; mais la sagesse croissait et le faisait souffrir par sa plénitude. "   "Trop grande était la tension dans mon nuage"  .  Zarathoustra sent qu'il peut être emporté par cette énergie ascendante et perdre le contact avec la terre, comme un ballon qui aurait rompu son ancre.  Au fond, il a peur d'éclater : "Le plus lointain de l'homme, sa plus grande profondeur, ce qu'il a de plus haut, haut jusqu'aux étoiles, sa force énorme : tout cela n'écume-t-il pas, ne s'affronte-t-il pas dans votre marmite ? Quoi d'étonnant que plus d'une marmite se brise"   .

Zarathoustra a de nombreux signes d'excitation mentale et physique : il fait constamment des jeux de mots, va parfois jusqu'au néologisme.  Il évoque plusieurs fois la danse et évoque des dieux qui dansent nus, il conseille à ses disciples de se tenir sur la tête : "Hauts les cúurs mes frères, Ö.hauts les jambes aussi, bons danseurs que vous êtes ; Et mieux encore : sachez vous tenir sur la tête ! "    .  Si fort est cet éveil qu'il éprouve le besoin de préciser qu'il n'est pas "piqué", au double sens du terme, c'est-à-dire qu'il n'a pas été mordu par la tarentule.  "En vérité, Zarathoustra n'est qu'un tourbillon, une trombe ; et, s'il est un danseur, il n'est pas, à coup sûr, un danseur de tarentelle ! "   .  On a l'impression qu'il s'excite tout seul comme un enfant qui veut courir tellement vite qu'il se prend les jambes l'une dans l'autre, qu'il pense tellement vite qu'il en finit par dire des bourdes.  A retirer d'un seul coup les garde-fous de la conscience, ne risque-t-on pas de devenir fou pour de bon ?

Cependant, Zarathoustra évoque son aspiration à la maîtrise d'une manière qui évoque la "voie de la foudre" (Vajrayâna) du tantrisme tibétain : " Il ne me suffit pas que la foudre ne fasse plus de dégâts.  Je ne veux pas lui servir de paratonnerre : elle doit apprendre à travailler pour moi".   .Son énergie, du point de vue de la géographie corporelle, n'est pas dirigée vers la zone sexuelle comme dans l'excitation ordinaire.  C'est un désir que le travaille plus haut, au niveau des épaules, au niveau de la racine des ailes pourrait-on dire, comme l'oiseau qui se prépare à s'envoler : "C'est une sagesse sauvage en vérité, ma grande aspiration aux ailes bruissantes. "    . Finalement, ce qui fait la force, la santé et la magie de Zarathoustra, c'est que cet éveil d'énergie est avant tout un éveil du grand bonheur.  "Ils toussent quand je parle, ils croient que la toux est une objection contre de grands vents, - ils ne connaissent rien du mugissement de mon bonheur ! "    .

Dans la tradition indienne, les deux grandes conditions pour qu'un Yogi puisse atteindre l'Absolu sont la transmutation complète de l'énergie sexuelle et le dépassement de la colère.  Cela est exprimé entre autres dans le récit de Vishvamitra, raconté au tout début du Râmayana, cette épopée que les enfants indiens entendent raconter dès leur plus jeune âge.  Celui-là s'était retiré dans l'Himalaya pour atteindre la Réalisation.  Les dieux inquiets des pouvoirs qu'il développait par ses pratiques spirituelles intenses, envoyèrent une nymphe céleste, Ménaka, pour le tenter.  L'ascète se laissa séduire, vécut dix ans avec Ménaka, puis fut repris par son désir de l'absolu et partit de nouveau dans les montagnes pour deux mille ans d'austérités.  Les dieux envoyèrent une autre nymphe, Rambha, pour le tenter.  Cette fois-ci, Vishvamitra ne céda plus à la chair, mais succomba à la colère et maudit Rambha en lui souhaitant d'être transformée en arbre pour dix mille ans.  Après, il regretta ce qu'il avait fait, reprit sa pratique et parvint enfin à la réalisation.  Le solitaire 
Zarathoustra a lui aussi éprouvé des difficultés dans ces deux domaines, c'est-à-dire la transmutation de l'énergie sexuelle et le dépassement de la colère ; c'est ce que nous allons étudier avec plus de détail dans les deux parties qui viennent. 
 

La transmutation de l'énergie sexuelle

Zarathoustra fait allusion à ce processus de transformation quand il dit : "Solitaire, tu parcours le chemin du Créateur : tu veux te créer un dieu à partir de tes sept diables. "   . Zarathoustra reconnaît que la chasteté est une démarche un peu folle, mais "cette folie est venue à nous, ce n'est pas nous qui sommes allés à elle. "  . Cela ne veut pas dire qu'il ait facilement pris une distance vis-à-vis des femmes : il a envers elles toute la violence des ascètes débutants.  Il les compare à toutes sortes d'animaux pour essayer de se libérer de leur fascination.  Il dit à propos de certains mariages : "Oui, j'aimerais que la terre fut secouée de spasmes quand s'accouplent un saint et une oieÖ"   .  Le "bestiaire intime" de Zarathoustra ne cède en rien à celui de Saint Antoine du désert.  Il nous parle à un moment de son double comme d'un "porc qui grogne".  Comme dans l'histoire de Vishvamitra, la sexualité, ne pouvant être transformée d'un seul coup, est seulement déplacée sous forme de colère et, ici, de fantasmes particuliers : "Si tu vas voir des femmes, n'oublie pas ton fouet. "   . "Sorcière, tu crieras et danseras au rythme de mon fouet. "  . Nietzsche, en 1882, avait voulu se faire prendre en photo avec son ami Paul Rée attelé à une charrette sur laquelle Lou Andréa Salomé, dont il était amoureux, brandissait un fouet   .  Jusque dans la dernière partie de la vie de Zarathoustra, le dépassement de la sexualité reste fragile.  Peu avant la fin du livre, l'ombre de Zarathoustra se met à chanter les charmes sensuels des filles du désert, auxquels on n'échappe de justesse "qu'en redressant sa dignité par un hurlement de vertu, tel un lion moral".   . Là encore, il s'agit plus d'un déplacement de la sexualité sous forme de colère plutôt que d'une réelle transmutation.

En fait, Zarathoustra se contredit : à un moment, il affirme qu'il ne faut pas libérer ces chiens que sont les instincts trop tôt, car ils n'attendent que cela et sont dangereux ; à d'autres moments, il dit que tout ce qui s'oppose à la libre vitalité n'est que l'oeuvre des "prêcheurs de mort".  En Inde, l'énergie vitale est considérée comme transmutée quand elle est entièrement dirigée vers l'Absolu.  Zarathoustra, de son côté, est plus occidental, plus matérialiste aussi, et semble aimer s'arrêter à cette sublimation intermédiaire qu'est la création.  La création, c'est bien, mais la création de quoi, et pour quoi ? On peut examiner de manière critique les diverses possibilités : s'agit-il de son versant le plus naturel, c'est-à-dire de la procréation ? Mais il n'y a pas besoin d'être Zarathoustra pour faire des enfants 'S'agit-il de la création d'une oeuvre d'art ? Mais si c'est un poème où l'on chante les gloires de la création, n'est-ce pas tourner en rond ? Est-ce que ce genre de création n'est pas une défense contre la peur de la mort et éventuellement un garde-fou contre le délire, protection établie par un moi qui craint de perdre le contact avec la réalité ou d'être disloqué par la poussée trop puissante de l'énergie intérieure ? Zarathoustra met souvent en parallèle le fou et le créateur, thème qui sera développé en grand par Daniel Pons (" Le Fou et le Créateur ", Albin Michel 1990).  Ou bien est-ce que créer signifie élaborer un enseignement et avoir des disciples ? Mais de ce point de vue-là, Nietzsche représente sans doute l'exemple le plus catastrophique de l'histoire de la philosophie quand on réfléchit à la manière dont son úuvre a été récupérée par les nazis.  Zarathoustra se présente comme un briseur de sécurités, mais il ne semble pas pressé de rejeter cette sécurité qu'il y a à pouvoir dire "ma création" ; il semble avoir du mal à envisager, à la manière des traditions spirituelles, la valeur intrinsèque du Juste, même s'il n'est pas "productif" et qu'il demeure caché.

Nous avons commencé ce texte en disant que Nietzsche considérait son Zarathoustra comme "un dithyrambe à la solitude et à la pureté".  Il était conscient que le travail de purification du mental était singulièrement activé par la solitude, pour ceux qui pouvaient y faire face : "O solitude ! O toi solitude, ma terre natale. "    "Pour de grandes âmes, la terre est encore à leur disposition.  Bien des endroits sont encore vides pour que viennent s'y établir des ermites, seuls ou à deux, l'odeur des mers tranquilles les entoure".  L'isolement temporaire du sage est comme l'égoïsme apparent de la femme enceinte qui est concentrée sur le fruit intérieur qu'elle va bientôt donner au monde.  Cela dit, la solitude peut faire basculer dans la folie, en particulier quand l'aspirant spirituel y rentre non par amour de l'Absolu mais par haine des hommes. Cette question n'est visiblement pas claire dans l'esprit de Zarathoustra.  Il essaie de nous faire croire que son "grand mépris" cache un "grand amour", mais il ne semble pas bien convaincant.  Il est atteint souvent de cette ambivalence affective qui peut toucher un mystique débutant, mais qui est majeure chez le psychotique.  Elle transparaît pratiquement à chaque page du texte : "Ainsi parlait Zarathoustra, et il riait d'amour et de méchanceté".   "Soyons ennemis, mes amis ! "   "Ce n'est pas par la colère, c'est par le rire que l'on tue". Un des traits caractéristiques des psychotiques est leur rire grinçant.  Cela dit, Zarathoustra éprouve une activation de "l'ombre" comme tout aspirant spirituel qui veut éveiller son énergie intérieure : "Ainsi parlait un jour ma pureté, à l'heure favorable " : "Que tous les êtres soient pour moi divins".  "Alors, vous m'avez envahi de fantômes malpropres ; hélas ! Où s'est donc enfuie cette heure favorable ? "   " Il en va de l'homme comme de l'arbre. Plus il veut s'élever vers les hauteurs et la clarté, plus ses racines plongent dans la terre, vers le bas, dans les ténèbres et les profondeurs ­ dans le mal".  . Le solitaire doit faire face, au bout d'un certain temps, à ce qu'on appelle en psychologie la "déréalisation", ce qui peut être rapproché sous son aspect spirituel et positif, de la Mâyâ des Hindous qui aide au détachement, et donc à la liberté.  "Ce qu'il y a en toi de noblesse se remplira de crainte comme un fantôme ; tu crieras un jour : "tout est faux " ! "

Ce sentiment de fausseté, joint à un fond d'hypersensibilité, rend l'état mental de Zarathoustra fragile.  L'ambivalence et le paradoxe permanent ont un effet heureux sur le lecteur, car ils le réveillent ou le font rire, mais ils ont également un effet d'épuisement sur leur auteur.  Cela dit, c'est peut-être cette lassitude des contraires s'entrechoquant sans cesse qui provoquera finalement le grand saut dans l'infini au-delà de la dualité ! C'est ce que suggère ces lignes superbes : 

O homme, fais attention ! Que dit le profond minuit ? Je dormais, je dormais, je me suis réveillé d'un rêve profond.  Le monde est profond, bien plus profond que ne le pense le jour.  Sa souffrance est profonde, mais la joie est plus profonde que la souffrance du cúur.  La souffrance dit "disparais ", mais toute joie veut la profonde, profonde éternité ! 
(revu d'après le poème allemand original)

Dans le Talmud, on dit qu'il n'y a que quatre Rabbis qui ont atteint la grande Expérience : Seul Rabbi Akiba en est revenu indemne ; un second en est mort, un troisième a été atteint de folie et un quatrième est devenu démoniaque.  La tradition indienne, consciente des risques de la solitude et d'un éveil trop rapide de l'énergie intérieure, conseille à la plupart des chercheurs spirituels de ne se retirer du monde (vanaprastha et sannyasa) qu'après avoir mené la vie de famille (grihastha).  C'est le système des quatre ashramas.

En janvier 1890 à Turin, Nietzsche a sombré dans une démence liée à l'aggravation d'une paralysie générale, c'est-à-dire la manifestation neuro-psychiatrique de la syphilis.  Il en mourra dix ans plus tard.  Les troubles psychiatriques de la paralysie générale sont de type hypomaniaque, excitations, caractérisés par des idées de grandeur et une expression souvent comique.  Il s'agit d'une maladie à évolution lente.  Il serait intéressant de savoir si Nietzsche n'en avait pas des signes avant-coureurs dans les oeuvres de sa dernière période, depuis Zarathoustra (1885) jusqu'à surtout Ecce homo  et L'Antéchrist, tous deux publiés en 1888.  Il faut se rappeler que Nietzsche avait fini par dire qu'il était lui-même l'Antéchrist'.  Cela permettrait de relativiser un certain nombre d'excès de sa pensée dans la dernière période.  Il faudrait pour cela des renseignements précis sur ses symptômes physiques et psychopathologiques apparus à cette époque, et je ne sais s'ils sont disponibles.
 

Peut-on se passer de compassion ? 

Dans le bouddhisme Mahayana, il y a deux qualités indissociables : la vacuité et la compassion.  Zarathoustra, en évacuant avec persévérance la notion de Dieu personnel et les hypocrisies d'une religion par trop sociale fait le ménage par le vide, il va à sa manière dans le sens de la vacuité.  A propos de la compassion il est ambivalent : quand il descend de sa solitude vers les hommes il parle de son déclin, comme un soleil couchant, ce qui est une image belle mais un peu triste.  Toute la quatrième et dernière partie de "Ainsi parlait Zarathoustra" tourne autour de la question de la compassion : "Il est plus difficile de bien donner que de bien recevoir, et bien faire des dons est un art ; c'est l'art le plus rusé, le maître art, suprêmement rusé, de la bonté".   Zarathoustra déclare qu'en tant que maître, il reste en vie pour le bien de ses disciples : il retrouve ainsi une idée comme en Inde : "Maintenant c'est vous amis, qui êtes les héritiers de mon but, c'est à vous que je jette la balle d'or.  Ce que j'aime par-dessus tout, amis, c'est de vous voir jeter la balle d'or ! Et c'est ainsi que je m'attarde encore un peu sur terre, pardonnez-le-moi ! " 

Toutefois, Zarathoustra est régulièrement possédé par des accès de "grand mépris", ce qui ne va pas dans le sens de la compassion.  Celle-ci lui apparaît alors comme son "dernier péché " à le retenir dans son évolution.  Certes, il y a là une réaction contre l'hypocrisie d'une charité peureuse, mais il y a aussi, plus profondément une conscience vive du risque qu'il y a à prendre des disciples.  Rétrospectivement, Zarathoustra critique sa propre frénésie d'enseigner : "Lorsque pour la première fois, j'arrivai parmi les hommes, je commis la folie des ermites, la grande folie : je me mis au milieu du marché".   Il accepte le fait que cette démangeaison le poussant à parler n'est pas sans lui créer des problèmes : "Il est difficile de vivre parmi les humains, parce qu'il est difficile de se taire. "   Contrairement à cela, n'est-ce pas le rôle d'un enseignant spirituel accompli de percevoir la demande et les besoins réels des disciples, et de donner à manger à ceux qui ont faim, et à boire à ceux qui ont soif ?

Après ses premières expériences de prédication et la déception qui s'en est suivie, Zarathoustra s'oriente vers une vision plus ésotérique de l'enseignement : "Je ne suis loi que pour les miens, je ne suis pas une loi pour tous.  Mais celui qui veut être des miens, il lui faut des os solides et le pied léger. "   Si l'on avait pris au sérieux cette parole, on aurait certainement évité certaines grossières erreurs d'interprétation de la pensée de Nietzsche.  Après avoir éprouvé la compassion qu'il y avait à prêcher, Zarathoustra découvre également la compassion qu'il y a à ne pas prêcher.  Peut-être avait-il lu ce verset de la Bhagavad Gita : "Il ne faut pas troubler la compréhension de l'ignorant qui est attaché à l'action (en particulier rituelle).  Le sage, agissant lui-même avec persévérance, doit engager l'ignorant dans toutes les actions". (III ; 26)
 
 

La fleur du Bouddha, le sourire de Mahakassyapa
La relation maître disciple dans le bouddhisme


Les débuts de la relation

Nous avons déjà vu que, dans l'ambiance culturelle indienne, la rencontre avec le Gourou est le réveil d'une relation karmique qui existait déjà auparavant.  C'est à cela qu'on peut attribuer l'intensité émotionnelle qui précède même la première rencontre : "A peine ai-je entendu" dit Milarépa   "le nom de Marpa le Traducteur que j'ai été rempli d'un bonheur indicible.  Chaque cheveu, chaque poil de mon corps vibrait de joie.  Je sanglotais, débordant de ferveur et d'adoration.  Enfermant tout mon esprit en une seule idée, je pris la route avec des provisions et un livre. Sans être distrait par aucune autre pensée, je me répétais constamment "Quand ? Quand verrai-je mon lama face à face ? ".  Gampopa à son tour, la première fois qu'il entendit prononcer le nom de son futur maître Milarepa, défaillit pendant une demi-journée et atteignit un état de samadhi qu'il n'avait jamais expérimenté auparavant.  Peu après, en partant à la recherche de Milarepa, il était si confus qu'il s'exclamait : "Quand pourrai-je voir mon lama ? "  Il alla même jusqu'à embrasser un marchand qu'il avait confondu avec Milarepa  . 

Une des premières qualités du disciple, c'est un désir intense de trouver le maître.  Il est certes possible de critiquer ce désir en disant qu'il peut créer des illusions, de même que, pour un voyageur perdu dans le désert, un désir intense d'eau lui fait voir des mirages.  On dit dans le même sens : "Quand le disciple est prêt, le Gourou arrive".  On peut au fond réconcilier les contraires faisant valoir que le désir intense du maître fait partie intégrante de la préparation du disciple, comme en fait partie le développement de la discrimination et d'une intuition qui ne soit ni émotionnelle, ni intellectuelle.  Quand un des disciples de Naropa vit la dévotion de Marpa pour découvrir où se trouvait le maître, il lui dit   : "Votre dévotion n'a d'égale que sa compassion. Sûrement, vous le trouverez".  Un des maîtres de Marpa, Kukkuripa, habitait, dit-on, entouré de chiens sur une île au milieu d'un lac de poison.  Marpa réussit pourtant à le rejoindre et à recevoir son enseignement.  Lorsque la ferme résolution du disciple s'accompagne d'une réceptivité complète, le Gourou ne peut guère résister à la demande.  Après quelques jours chez Marpa, Milarepa lui fit l'offrande hautement symbolique d'un pot vide   : "Marpa le prit dans les mains et le tint pendant un moment, le regard pensif.  Des larmes coulèrent de ses yeux et il dit : "Votre don est de bonne augure. Je l'offre au grand Maître Naropa".  Et Marpa l'emporta dans son oratoire.

Dans les biographies de la lignée Kagyupa, on peut relever cinq épisodes où le disciple en arrive au bord du suicide.  C'est en général juste avant l'établissement de la relation définitive de maître à disciple.  Peut-être les lamas, en enfonçant leurs disciples dans leur misère, appliquaient-ils le principe tantrique de "transformer les cinq poisons en cinq prises de conscience".  Il fallait sans doute ce traitement pour "métaboliser" l'orgueil de Naropa ou les pulsions de meurtre, mêlées de culpabilité intense de Milarepa.  Cependant, il ne faut pas croire que toute relation d'enseignement doit aller à ces extrêmes.  Par exemple, dans une brève enquête que j'ai faite sur l'état de la relation gourou-disciple dans le bouddhisme tibétain durant le XXe siècle, j'ai demandé à Samdhong Rimpoché s'il avait été témoin de telles tensions, d'un jeu si dur entre lama et disciple autour de lui durant sa carrière monastique dans le Tibet central, à Lhassa puis en Inde.  Il m'a répondu que non.

Les épreuves de Naropa avant et après avoir trouvé Tilopa méritent au moins un début d'interprétation, elles peuvent donner des lumières inattendues sur le mode d'action d'un gourou.  Naropa manque d'abord douze fois de reconnaître Tilopa qu'il recherche à chaque fois, à cause de sa peur de l'impur.  Il ne peut enjamber une vieille lépreuse, manger du poisson, tuer un daim,   etcÖ Répétitivement une voix lui dit : "Si tu ne peux dépasser tes limitations, tes "pensées génératrices d'habitudes", comment espères-tu trouver ton Maître ? "  Il s'agit du premier apprentissage de la non-dualité et de la non-peur.  Après avoir pensé se suicider pour rencontrer Tilopa dans une vie suivante, ce dernier finit par apparaître en chair et en os en face de lui et l'accepter comme disciple.  Ensuite, à douze reprises Naropa demande un enseignement à Tilopa qui, à chaque fois, est en samadhi depuis déjà un an.  Un sens évident de cette image, c'est que le disciple a besoin du gourou, et non pas l'inverse.  Ensuite, Tilopa s'arrange pour que Naropa subisse des épreuves qui ressemblent étrangement aux fantasmes classiques des schizophrènes : le corps est découpé en morceaux, est détruit par le feu, est gelé, mangé par les vers, et, avant-dernière épreuve qui précède le sacrifice du corps tout entier, Naropa se frappe le pénis en érection avec une pierre, pour se punir d'avoir couché avec une fille, ce qu'il avait d'ailleurs fait sur l'ordre de son gourou.  D'un point de vue psychologique, il s'agit de briser le noyau psychotique, de stériliser les germes de délire qui existent dans l'inconscient de tout un chacun.  D'un point de vue spirituel, il s'agit de provoquer la dés-identification d'avec le corps, l'attachement à ce dernier étant la base du fonctionnement du mental et de l'ego.  Ceci correspond aussi à une pratique de méditation bien connue, le tchöd, qui n'est pas pour les débutants : on y offre son corps qui est dépecé par les démons.  Il est important de noter que l'avant-dernier renoncement est le renoncement au sexe.  Il a une telle valeur que ce n'est que juste à l'issue de cet épisode douloureux que Tilopa donna à son disciple le nom de Naropa  . On peut sans doute voir aussi là-dedans une allusion au mot "Nara" qui signifie "homme" en sanskrit, de même que dans "Nârâyana" ou "Narendra".  Ce même renoncement au désir sexuel va permettre à Naropa de pratiquer la plus haute forme de méditation, le Mahâmudrâ.

Une autre méthode intéressante de Tilopa est la demande d'interprétation.  Il se met un joyau au-dessus de la tête et demande à Naropa ce que cela signifie.  Aussitôt, celui-ci répond : "Je comprends que ce joyau précieux qui crée le Samsara et le Nirvâna, c'est le Gourou, et qu'on doit le considérer comme inséparable du sommet de la tête".  Ensuite, Tilopa regarde le joyau, et Naropa y voit tout de suite une allusion à la dévotion qu'on doit avoir pour le Gourou  . Milarepa était aussi célèbre pour être capable de voir en n'importe quelle situation concrète une analogie des réalités spirituelles et des lois qui les gouvernent.

L'histoire des quatre tours que Marpa demanda à Milarepa de construire et de démolir successivement, sauf pour la dernière, est l'une des histoires de Gourou et de disciple les plus connues.  On peut remarquer d'abord que le Maître avait prévenu charitablement son disciple juste avant   : "J'ai été dur avec toi, mais ne te désespère pas.  Sois patient.  L'enseignement est un travail lent". Marpa voulait aussi endormir la méfiance de ses voisins et ennemis en leur faisant croire qu'il était devenu fou, et qu'il demandait à Milarepa de bâtir n'importe quel tour n'importe où.  Ainsi, ils ne se sont pas méfiés quand le disciple a commencé une quatrième tour sur leur propre territoire, si bien qu'un beau jour ils se sont retrouvés avec une tour inexpugnable de sept étages pratiquement chez eux.  Ils ont dû faire la paix.

Le symbolisme de cette histoire est riche d'enseignement.  Le Gourou peut demander de pratiquer des techniques, puis de les oublier, de construire des visualisations, puis de les dissoudre, de développer des pouvoirs, puis de les abandonner.  Pour les gens de l'extérieur qui ne comprennent guère ce qui se passe, gourous et disciples sont comme deux fous qui s'adonnent à un jeu aussi absurde que masochiste.  Mais soudain, quand le sâdhaka a fini sa tour de sept étages, quand il a pleinement éveillé ses sept chakras et a "bâti"  solidement son corps subtil, les gens de l'extérieur sont obligés de tenir compte de la présence au milieu d'eux d'un être réalisé, de changer d'attitude à son égard et de faire la paix avec lui, bien que d'ailleurs, ce dernier n'ait jamais pensé à les attaquer. 

La relation mûre

La première chose qui frappe dans la formation d'un disciple par un lama, c'est le temps nécessaire.  Naropa a pratiqué pendant douze ans auprès de Tilopa, et il connaissait déjà parfaitement tout l'aspect intellectuel de la tradition.  Lors de ses trois voyages en Inde, Marpa est resté en tout vingt et un ans auprès de Naropa  . Avec cette formation, il pouvait s'offrir de vivre comme un "homme ordinaire" une fois revenu au Tibet.  Milarepa commença par aller voir un lama qui lui promit la libération en douze heures.  Il n'y a pas qu'en Californie de nos jours qu'on trouve ce genre de charlatans. Comme sa méthode s'est avérée être un échec, le lama ajouta à l'orgueil la mauvaise foi et lui dit : "Vous échouez parce que vous êtes réellement un grand pécheur"  . Dans l'idée traditionnelle, le sâdhaka ne devrait quitter sa retraite que lorsqu'il est complètement mûr, de même que l'oiseau Garuda, dit-on, est déjà adulte lorsqu'il sort de l'oeuf.  Milarepa revient régulièrement sur ce point dans ses Chants.  Il n'y a guère qu'à son disciple et successeur Gampopa qu'il ait donné un ordre explicite de mission.  Voici par exemple trois strophes d'une de ses compositions qui vont dans ce sens  

  Ecoutez, je vous prie, considérez et pratiquez
  Ce que je vous chante,
  C'est le chant d'un vieil homme
  Qui est expert en la matière.

  Tâchez de devenir
  Libre et relaxé, constamment.
  Si vous ne pouvez y parvenir, 
  Cantonnez-vous à vos vúux, ainsi qu'aux préceptes.

  Parce qu'en moi, la confusion est déracinée,
  Je réalise que la Conscience de Soi est mon Maître.
  Celui qui n'a pas vécu pour de bon cette vérité
  Ne devrait jamais quitter un enseignant accompli.

L'importance que donne Milarepa à la retraite et à la solitude n'est pas nouvelle dans le bouddhisme.  Même dans son "Guide de la manière de vivre en bodhisattva", un texte de base du Mahayana, Shantîdeva ne défend pas un idéal missionnaire facile.  Le système du bodhisattva semble plutôt de rester dans la solitude jusqu'à l'obtention d'une réalisation suffisante, et après seulement, sortir de sa retraite et répandre le Dharma.  A témoin cette strophe qui est une des dernières du recueil : 

  Quant à moi, puisse-je vivre et subsister
  Avec une nourriture simple et ordinaire, 
  Et dans toutes mes vies puisse-je trouver
  La solitude idéale pour pratiquer le Dharma.

On  peut citer ce en quoi consistait la "vie dans le monde" de Marpa quand il est revenu d'Inde   : "Selon la prédiction, le commandement de Naropa, le père et Gourou Marpa, avec tous ses fils, demeura chez lui en une stricte retraite.  Le Gourou résidait dans la partie supérieure du manoir.  A l'étage en dessous habitait son fils Tarma Dodé.  En dessous encore, il y avait les principaux fils-disciples.  Les autres disciples pratiquaient également leur sâdhanâ dans une retraite stricte.  La femme de Marpa, Marpa Golek, et Bawachen de Parang s'occupaient d'eux".  Quand on demandait à Milarepa pourquoi il vivait dans des grottes et non pas en famille comme son Gourou, il répondait "Ce serait comme le renard essayant d'imiter le tigre".  Quand ce dernier a commencé à vivre en réclusion, il raconte que "le père et la mère" (Marpa et son épouse), me donnaient les provisions, y compris une part de tous les repas rituels qu'ils célébraient.  Et ceci, ils le faisaient avec une grande tendresse"  . Même une fois qu'il s'est éloigné de Marpa, il considère que la solitude est le meilleur moyen pour être constamment en relation avec le Gourou et n'est donc pas, en ce sens, solitude.  Il s'agit pour lui de méditer avec acharnement sur les instructions du lama "comme la tigresse qui se nourrit de la chair d'un cadavre"  . 

Bien souvent, les propos de Milarepa ressemblent étrangement à ceux qui suivent la voie de la dévotion (bhakti) au gourou dans l'hindouisme, comme par exemple ce quatrain dans l'un de ses chants   : 

  Ne vous chargez pas l'esprit de tant de choses
  Mais relaxez-vous et soyez assis à l'aise
  En vous souvenant du Gourou,
  De sa bonté et de sa grâce.

Pourquoi faut-il consacrer tant de temps à méditer les instructions d'un Gourou ? Car elles ont quelque chose de plus que les instructions ordinaires   : 

  En lavant les taches de l'instabilité émotionnelle
  Avec le nectar de la parole, qui n'est pas une parole normale,
  Naropa s'exprime en puisant au fleuve des instructions
  Du Gourou, pur comme l'arbre du paradis ; 
  Mais les mots qu'il utilise ne sont pas des mots normaux.

La relation mûre entre gourou et disciple n'est pas exempte de conflits.  La crise entre Rechungpa qui revient d'Inde tout fier de son savoir livresque et Milarepa qui le pousse à pratiquer dans la solitude occupe tout un chapitre des "Cent mille chants", si ce n'est plus.  Le lama conseille de bien choisir non seulement le gourou, mais aussi l'entourage   : "Le gourou qui n'a que peu de connaissances, le disciple qui n'a que peu de foi, le frère qui n'a que peu de contrôle de soi sont trois facteurs opposés au Dharma ; j'y ai renoncé, et c'est bon pour vous de le faire aussi".

De l'extérieur, on pourrait penser que la dévotion au Gourou est bonne au début, pour assouplir l'ego du disciple, mais qu'elle s'efface par la suite pour faire place à une relation d'unité.  En fait, la tradition affirme que la vénération du Maître est importante au début, au milieu et à un stade avancé de la sâdhana.  Les Tibétains disent que le lama n'est pas comme un daim dont on abandonne le cadavre après lui avoir arraché son musc.  Même après la réalisation, il est normal de continuer à respecter son maître, ne serait ce que comme on continue à respecter ses parents une fois qu'on est adulte.  Cela ne veut pas dire qu'on en est dépendant.  La persistance de cette émotion envers le gourou peut provenir d'un attachement naturel pour une personne avec laquelle on a eu une relation intense pendant une bonne partie de son existence ; ou elle peut être motivée par un désir d'éliminer les dernières traces de son ego, tâche ardue s'il en est ; ou, si le sâdhaka est devenu lui-même gourou, sa dévotion sera une manière de répercuter sur son propre maître toutes les projections, positives ou négatives, qu'il reçoit de ses disciples, sans que son ego en soit réactivé.  Marpa, après 16 ans en Inde, se trouve au Népal et soudain, une nuit, se souvient des vertus de Naropa et Maitripa   : "Il regretta d'être revenu d'Inde et décida qu'il y retournerait.  Puis il s'assit et ne s'arrêta pas de pleurer".  Lorsqu'il revient en Inde, il s'agit de son troisième voyage, il a réellement des difficultés à trouver Naropa.  Finalement   : "Je priais ardemment pendant une semaine.  Comme le vénérable père (Naropa) connaît clairement l'esprit des autres, il vint en personne devant moi.  Rempli de joie, j'en pleurais, j'en sanglotais.  M'abaissant, je mis les plantes de ses pieds sur le sommet de ma tête.  Je lui dis en gémissant "Vous avez été si méchant".  Des larmes de dévotion jaillirent comme du sang, signe extraordinaire et magnifique s'il en est ! J'embrassais son corps comme une parèdre, je touchais son coeur de ma tête.  A ce moment-là, il m'accorda l'onction (abhisheka) complète de l'esprit, il déversa l'essence de l'esprit en moi, achevant ainsi les enseignements, signe extraordinaire et magnifique s'il en est ! "

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