Soigner son âme
 Quatre colloques importants se sont tenus en France au cours du premier semestre 1994 qui traitaient tous du rapport de la méditation et de la relaxation avec la psychologie et la psychiatrie. Notre collaborateur le Dr Vigne y a assisté à son retour d'Inde, et nous livre ici ses réflexions de méditant et de médecin.


Quand on y réfléchit bien, on s'aperçoit que le rapport entre thérapie et sacré est aussi vieux, si ce n'est que le monde, au moins que la culture humaine. Les diverses pratiques religieuses ont permis d'atténuer la souffrance de l'homme de multiples façons. La réflexion sur la guérison et le spirituel continue d'évoluer aujourd'hui, exprimée avec des concepts modernes. C'est l'état actuel de cette réflexion dont j'aimerais parler dans cet article. J'y évoquerai quatre congrès qui se sont déroulés au printemps, dans lesquels je suis intervenu et qui se rattachent à cette mouvance.

Au-delà du détail des interventions et des personnalités, j'ai senti une force qui émergeait de ces congrès: un certain nombre de gens veulent faire leur propre synthèse entre l'approche thérapeutique et l'approche spirituelle. Ils se prennent en main pour organiser des rassemblements allant dans ce sens-là ou pour venir y participer, la plupart du temps sans aucune aide officielle. Même si ceux qui s'intéressent réellement à une approche spirituelle des choses sont une minorité - c'est comme cela depuis bien longtemps - il ressort plus clairement de ces congrès récents qu'ils savent s'organiser en réseaux, souvent internationaux: cela donne du poids à leur pensée et à leur action.
 
 

Méditation et psychothérapie

Ce fut le sujet du congrès qui s'est déroulé à Lyon. Méditation et «médication» n'ont-ils pas la même racine: «prendre soin de» ? L'organisateur de ce congrès, le Dr JeanMarc Mantel, était psychiatre à l'hôpital Foch; il a arrêté son travail pendant un an et demi pour se consacrer à la méditation, et il a maintenant repris ses fonctions en autre lieu. Il est inspiré par le Védanta et Jean Klein. Derrière le rapport entre méditation et psychothérapie, il y a une notion fondamentale, celle de l'autoguérison. L'homme a en lui la possibilité de se soigner, d'évoluer intérieurement et, nous disent les traditions, d'atteindre le Suprême. Dans cette démarche, le sujet doit se retrouver un jour ou l'autre face à lui-même, et c'est le processus de méditation qui commence.

Il y a deux grands types de méditation - les méditations de concentration, qui apportent rapidement un état de paix, et les méditations d'observation, qui permettent de comprendre les mécanismes mentaux et de s'en désidentifier. En langage bouddhiste Hinayana ( dans le bouddhisme Mahayana et zen en particulier, concentration et observation sont unies dans la pratique de la méditation en zazen ), on parlerait de shamata et de vipassana. Ces deux types de méditation sont thérapeutiques.

Il y a une sorte de dogme en psychanalyse qui dit qu'on ne peut évoluer si l'on n'a pas revécu consciemment les expériences traumatisantes du passé. Mais la méditation de la concentration, qui crée dans le présent des états extrêmement positifs qu'on n'a jamais vécus auparavant, permet aussi une évolution intérieure rapide. La méditation d'observation, par l'attitude de réceptivité à «ce qui remonte>>, semble plus proche des conceptions habituelles de la psychothérapie; mais même là, il y a une différence importante: la manière dont les «nþuds du cþur» se sont noués dans le passé n'est pas étudiée en détail: par contre, on développe un savoir- faire concret pour les dénouer dès qu'ils se présentent, à l'instant même, et pour répéter ce processus autant de fois que nécessaire. En psychothérapie, les problèmes sont au centre de la conscience, ils sont considérés en tant que tels, alors qu'en méditation on les observe de manière périphérique, dans la mesure où ils obscurcissent notre perception directe de l'absolu. En thérapie, on voit les problèmes, en méditation, on voit au travers.

En psychothérapie on cherche surtout à se désidentifier du surmoi, en méditation, on souhaite se désidentifier aussi du moi et du ça - en fait, de toute la machinerie de l'ego, globalement. La psychothérapie est une forme de pédagogie; les patients apprennent à comprendre des mécanismes de base de leur mental. On cherche à développer un moi sain, qui pourra être réellement abandonné par la suite dans l'évolution spirituelle; en effet, ce sont les egos malades et souffreteux qui ont en fait la vie la plus longue sur le chemin intérieur. Ce dernier vise un idéal de perfection qu'on trouve mis en valeur dans les différentes traditions. Un moyen direct d'atteindre cette perfection de la conscience peut être expérimenté lors de l'arrêt du mental, ce qu'on appellerai l'apatheia dans le christianisme des Pères du désert. Quand des couches de plus en plus profondes du mental se calment, la «vraie chose» se révèle, qu'on appelle le Soi ou le Divin. La méditation apporte par rapport à la psychothérapie deux éclairages supplémentaires: la compassion (en ce sens, la méditation peut être appelée «bien-veillance») et la transcendance. Cette vision transcendante correspond au solvant universel des alchimistes, elle vise à la déprogrammation de tous nos déconditionnements.

Si la méditation a tant d'intérêt, pourquoi si peu de gens la pratiquent ?

ð La première raison, c'est une mauvaise compréhension de la dialectique méditation-action: au lieu d'essayer de faire passer les prises de conscience de la méditation dans l'action, beaucoup laissent tomber la pratique de la méditation et font une pirouette intellectuelle en baptisant leur action «méditation dans la vie» ou «kama yoga»... On peut difficilement intégrer cette catégorie de personnes à une évaluation de l'efficacité de la méditation, puisque, concrètement, ils ne pratiquent pas.

ð Il est difficile d'être en face de soi-même; il peut y avoir une sorte de réaction dépressive à traverser quand on découvre que le fonctionnement de son ego est bien moins brillant que ce qu'on pensait au départ. Beaucoup n'arrivent pas à faire face à cela.

ð La méditation, traditionnellement, se pratique en lien avec un maître spirituel. Il y a une confusion des idées sur ce qu'est ce lien, un peu en Orient, et plus encore en Occident.

ð Certaines personnes qui méditent régulièrement se plaignent de ne pas évoluer; il faut qu'ils se demandent si l'énergie qu'ils éveillent effectivement par la méditation n'est pas gaspillée au fur et à mesure par des «fuites d'énergie» chroniques: style de vie éclaté, tendance à la colère, envie d'aider les autres sans en avoir la capacité, changements fréquents de types de pratiques et d'enseignements spirituels, etc.

ð On peut aussi être déçu par la méditation parce qu'on a une fausse attente vis-à-vis d'elle: attente d'expériences extraordinaires à l'occasion de stages de week-end, etc. Une méditation réelle est comme une sorte de bain quotidien, elle est un soleil qui fait mûrir différents fruits, chacun en son temps. Elle amène à distinguer, à l'intérieur même du champ mental, la partie qui est observée de la partie qui observe, et à renforcer celle-ci. En ce sens, on peut dire en reprenant la jolie expression de Robert Dumel: «Consacrer du temps à la méditation et au Yoga, c'est consacrer le temps».

Il ne faut pas croire qu'enseigner des formes simples de méditation aux patients soit le seul moyen de faire une thérapie spirituelle. Le thérapeute, pour peu qu'il ait lui-même une expérience spirituelle, trouvera des milliers de façons de la faire pressentir au patient, par un geste, un sourire, un silence, une histoire racontée au moment juste, ou une conversation directement centrée sur les questions religieuses, si souvent occultées en psychothérapie. Ceci dit, ce n'est pas parce qu'un thérapeute s'intéresse à la spiritualité qu'il doit devenir une sorte de gourou local; il vaut mieux qu'il soit capable de passer la main, et de suggérer à son patient divers groupes traditionnels compétents dans leur domaine, afin que celui-là puisse continuer son itinéraire.

La recherche sur la méditation est peut-être la plus féconde de la psychologie transpersonnelle. Quand on regarde les thèmes des articles dans le Journal of Transpersonal Psychology, un thème de plus en plus abordé au fils des années est celui de la méditation.
 
 

Peut-on objectiver le corps énergétique ?

Le congrès du Corps Energétique s'est déroulé en mars à Paris. C'est le troisième du genre par l'AIEV et le Dr Bercot. Ce dernier est un ex-chirurgien cardiaque, chercheur à l'INSERM, qui s'est passionné pour l'étude du corps énergétique et son utilisation en thérapie. Le congrès lui-même a donné de l'importance aux stages expérientiels destinés à faire prendre conscience du corps énergétique de multiples façons. Du point de vue de la recherche théorique, un chercheur en biologie moléculaire et génétique de l'INSERM a fait remarquer qu'il existait maintenant une jeune génération de scientifiques ouverts au fait d'entamer des protocoles de recherche inspirés par des hypothèses spiritualistes.

Evidemment, ils nécessitent des fonds, comme pour tout travail; de plus, le premier problème à résoudre en ce qui concerne le corps énergétique, c'est de trouver des moyens de l'objectiver scientifiquement. A partir de là, de multiples protocoles d'investigation peuvent être conclus. Evidemment, la difficulté dans l'étude du corps énergétique ou subtil, c'est justement qu'il est subtil, et éminemment variable selon l'état de la personne. Cette variabilité extrême rend délicates les élaborations trop précises sur les chakras ou sur l'énergétique en acupuncture. C'est sans doute pour cela que dans les voies de méditation qui s'intéressent à l'évolution globale du pratiquant, on conseille d'observer les phénomènes énergétiques: en développant cette position d'observateur long terme, on ne risque pas d'être emporté d'un côté ou d'un autre, ni de se tromper, car on maintient la supériorité de la conscience sur les tourbillons et les tempêtes des eaux énergétiques.

En Inde, des auteurs comme Gopi Krishna ou plus récemment B.S. Goel ont décrit en grand détail leurs expériences de Kundalini. Les livres de Gopi Krishna ont été récupérés un peu facilement par la vague hippie; qui a vu dans la Kundalini (l'énergie lovée à la base de la colonne vertébrale et pouvant s'élever par elle) un moyen bon marché de faire un «trip»érotico-mystique. Et pourtant, la Kundalini est déjà évoquée indirectement dans les Upanishads, et elle représente une part importante de l'enseignement de l'Inde médiévale. Ce que dit cet enseignement, en substance, c'est que l'énergie vitale de base peut et doit être sublimée, qu'il y a des techniques de méditation qui vont dans ce sens, et que la classification en sept chakras permet un premier repérage dans le foisonnement des expériences énergétiques. Dans la pensée indienne, la Kundalini est une déesse qui octroie moksha, la libération, si on la sert de manière désintéressée. Il est difficile dans ce contexte de l'utiliser comme auxiliaire d'un protocole thérapeutique. Les résultats peuvent être bons chez le patient, mais plus mitigés chez le thérapeute qui risque d'être victime de l'énergie qu'il a éveillée comme une sorte de golem.
 
 

Le yoga qui soigne

Un congrès de Yoga-thérapie s'est aussi tenu en mai, organisé par le Dr Lionel Coudron et l'association «Médecine et Yoga». Il fait partie d'une série de congrès qui se sont déroulés en Inde à Bénarès et Bangalore, ainsi qu'en Italie. Il a réuni deux cent cinquante personnes venant de dix-sept pays. Il s'est conclu par la rédaction de la déclaration d'Annecy en faveur d'une médecine balistique. Cette déclaration a été élaborée avec l'aide d'un conseiller juridique au Parlement Européen, et a été envoyée aux ministres de la Santé du monde entier.

Du point de vue français déjà, ce congrès a permis de prendre conscience de la manière dont le yoga pénétrait tranquillement les institutions publiques. Il y avait par exemple deux infirmières psychiatriques de Montpellier qui étaient venues avec leurs frais pris en charge par la formation permanente de leur institution. Le Dr Irampur, professeur à la faculté de médecine naturelle de Bobigny, a parlé de son expérience de création de vingt-cinq groupes de yoga pour traiter les alcooliques. A son sens, et il parle avec plus de vingt années de recul, les pratiques corporelles et les groupes d'anciens buveurs (style Alcooliques Anonymes) sont les deux moyens d'avoir un réel traitement de fond de la dépendance alcoolique, loin devant les traitements médicamenteux. L'alcool est réellement un fléau social, avec trente-six millions de consommateurs et cinq millions de dépendants. En plus de la cirrhose, il faut

noter que 50 % des alcooliques dépendants meurent de cancers. On reproche parfois au yoga d'être loin des préoccupations de la société au sens large; mais l'alcoolisme est un champ où il peut avoir une action d'une importance décisive. Chacun cherche le bonheur; les alcooliques et les toxicomanes le cherchent dans une substance extérieure à eux-mêmes; le yogi le cherche à l'intérieur. La possibilité d'expérience de bonheur intérieur intense est le meilleur encouragement à l'abandon de la consommation de substances. Dans ce sens, le Pr Curtis du service de psychiatrie de l'université de Columbia a rendu systématique la pratique du yoga chez les patients en cure de désintoxication.

Pour tirer un réel bénéfice du yoga, il faut éviter de dissiper l'énergie éveillée par la pratique. Quels peuvent être les facteurs de dissipation, de «fuite» d'énergie ? J'ai été amené à réfléchir là-dessus en rencontrant récemment trois professeurs de yoga qui avaient été ou étaient victimes de dépression. Cette question de fuite d'énergie est aussi importante pour des gens qui se trouvent en position de thérapeute. J'en parle de manière générale dans mon livre Le maître et le thérapeute, mais je vais essayer d'évoquer ici les points qui me semblent les plus importants:

ð Le ressentiment envers celui ou ceux qui vous ont enseigné ce que vous savez: les brouilles entre enseignants et élèves sont courantes dans le milieu du yoga et contribuent à créer une sorte de contradiction interne au niveau de la pratique quotidienne.

ð Sur l'autre versant de la relation d'aide, l'attachement aux élèves peut être un facteur de fuite d'énergie, soit qu'on ait besoin d'eux au point de vue financier, soit surtout au point de vue subtil, pour par exemple étayer une image de soi chancelante, etc.

ð Dans la séance de yoga, il y a des moments où à la fois professeur et élève sont en état de conscience modifiée. Ce sont des moments à hauts risques, bien qu'ils soient également intéressants d'un autre point de vue.

ð Le fait de trop materner les élèves, de les toucher, peut tout à fait créer une déperdition énergétique, et le fait que les élèves aiment cela ne change rien au phénomène.

ð L'enseignement du yoga est basé sur la pensée positive: il n'y a pas de mal à cela - il existe tant d'occasions de pensée négative dans la vie courante que la séance de yoga et sa pensée positive devient une source importante de réconfort pour les élèves. Cependant, la pensée positive ne doit pas remplacer la pensée tout court, et souhaiter arriver au but ne doit pas faire croire qu'on y est déjà parvenu. Cela serait en contradiction avec le bon sens, ainsi qu'avec un précepte fondamental du yoga: la vérité (satya). Le risque est de développer une double personnalité, alors qu'une spiritualité authentique recherche l'unité ainsi que la spontanéité.

ð Une dernière idée fausse est responsable de bien des pertes d'énergie: on croit qu'il faut être en position d'enseignant ou de thérapeute pour pouvoir aider spirituellement les autres; mais la spiritualité peut se transmettre d'une multitude de manières, la première restant l'exemple. De plus, les gens qu'on doit aider viennent croiser votre chemin spontanément.
 
 

Les paradoxes de la relaxation thérapeutique

L'IFERT, sous la direction des Drs Wintrebert et Ehrlich, a enfin organisé au CNIT (La Défense) un congrès de relaxation thérapeutique qui a rassemblé plus de deux cent cinquante personnes. J'ai un faible pour cette discipline, car le travail qu'elle amène à faire sur le corps et l'imaginaire court-circuite le mental habituel beaucoup mieux que les thérapies verbales et permet d'introduire concrètement un début de travail spirituel en thérapeutique tout en restant accepté par le milieu médical.

La multiplicité des tables rondes, seize réparties dans des salles différentes en une journée, était preuve de la vitalité du sujet. Je pense que ceux qui enseignent la relaxation auraient intérêt à réfléchir sur les bases théoriques de la méditation. Ils trouveraient là un fondement éprouvé par le temps à leurs pratiques: il n'y a pas eu besoin d'attendre le XXe siècle pour savoir relaxer son bras droit ou observer son souffle; il y eut des gens, avant nous, qui ont passé bien plus de temps que nous à ces exercices, même s'ils n'ont pas exprimé les résultats de leurs expériences dans le langage de la psychologie occidentale. Si la relaxation ne s'intéresse pas sérieusement à ces bases orientales, elle risque de rechercher des supports théoriques dans la psychanalyse, et de se trouver par là même intellectualisée, et alourdie des complications idéologiques qui opposent chapelles et sous-chapelles dans ce domaine-là. Peut-être que dans la rencontre, la psychanalyse y gagnerait en acquérant une dimension corporelle qui lui manque cruellement, mais je pense que la relaxation y perdrait sa spécificité qui est d'aller directement du corps à l'image mentale en réduisant au minimum l'intermédiaire verbal et tous ses dangers de constructions et déviations intellectualisantes.

Bien que la relaxation thérapeutique veuille se tenir au cadre médical dont elle est issue, elle fait preuve d'une certaine ouverture: par exemple pour laisser la place, lors de la séance plénière de clôture de ce congrès, à une intervention sur relaxation et méditation. Après les nombreuses communications sur les applications spécialisées de la relaxation, ce sujet pouvait représenter une sorte de tentative de synthèse. La relaxation en elle-même pourrait être définie, comme l'a fait le Pr Pélicier, ex-chef du service de psychiatrie à l'hôpital Necker et président du congrès, comme une recherche de sagesse dans le cadre des thérapies.

La présence des pays de l'Est dans au moins deux de ces congrès est le signe d'une ouverture de ce côté-là. Je suis moi-même allé récemment donner des séminaires de yoga et de psychologie transpersonnelle en Europe de l'Est. En Pologne, j'ai trouvé des psychologues jeunes, ouverts à la psychologie humaniste; dans un des groupes où j'ai été invité, ils ont introduit la méditation matin et soir durant leurs semaines de formation. En Russie, à Saint-Pétersbourg, j'ai rencontré un éditeur qui avait publié un livre de yogathérapie en trois volumes: en quelques mois, il a vendu en tout un million d'exemplaires.

Visiblement, il y a une recherche intense de sens de la part de toute une partie de la population; espérons que les contraintes économiques et les changements politiques ne vont pas étouffer l'oiseau dans l'þuf...

Par le Dr Jacques VIGNE


 
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