Corps, émotions et méditation.

    A la demande de certaines personnes qui sont venues à des stages que j'ai animés lors de mon dernier cycle de séminaires en France, j’ai décidé de mettre par écrit certaines pratiques que jusqu'ici j’avais données surtout oralement. Depuis dix-huit ans que je suis en Inde, dont plus de deux ans et demi en ermitage, j’ai pu expérimenter de nombreuses manières de pratiquer l’intériorisation de . Pour ceux qui veulent développer de bonnes bases en méditation, il est important d'avoir une idée très claire du rapport entre le corps, les émotions et le mental. A cette fin, des méthodes inspirées par vipassana, la claire vision intérieure des bouddhistes, sont très utiles.  De la même manière, le Yoga peut être d'une grande aide pour expérimenter le corps subtil et les correspondances que celui-ci établit entre les différentes parties de l’organisme.
 
 

Claire vision intérieure et localisations émotionnelles
 

    Dans le bouddhisme théravada, il y a deux grandes voies de méditation, vipassana, la claire vision intérieure, et samatta qui signifier égalité - et aussi en pratique la concentration. Il existe beaucoup de manières de pratiquer vipassana, la méditation de « claire vision intérieure » selon le bouddhisme : Jack Kornfield, dans son livre Dharma vivant parle de  différentes méthodes selon les maîtres qu’il a rencontrés en Thaïlande et en Birmanie. Cependant,  il y a toujours une forte insistance sur l'observation de la respiration telle qu'elle est ainsi que des diverses sensations du corps également telles qu'elles sont. Une façon logique de procéder, expliquée par exemple par SN Goenka, est tout simplement de balayer le corps partie par partie et d'y observer les sensations. On ne laisse pas l'attention être renvoyée comme une balle d'une partie du corps à l'autre et se dissiper comme cela se passe dans le fonctionnement mental relaxé habituel. En effet, ce sont ces enchaînements de sensations qui forment la base des réactions émotionnelles. Si on les maîtrise dès le départ, le serpent des émotions perturbatrices est comme coupé en morceaux, il ne peut plus nuire. Supposons par exemple qu'on observe la plante du pied gauche et qu’une sensation de crispation remonte, associée à un souvenir de colère. L'enchaînement habituel serait une propagation inconsciente de cette tension d’abord au pied droit, puis aux mains se crispant comme pour donner un coup de poing, puis aux mâchoires et à la nuque,  tout cela sans s’en apercevoir car on a le mental projeté vers la cause extérieure supposée de la colère. Par contre, si on observe la tension de la plante du pied gauche de façon objective, elle aura tendance, après être née, à augmenter, atteindre un sommet, diminuer puis se dissoudre. Après cette dissolution reste une sensation harmonieuse, unifiée de la zone : quand on s'habitue à percevoir cela derrière toutes les sensations de toutes les parties du corps, on est proche de la conscience de nirvâna, ou la toile de fond du Soi qui « éclaire de sa propre lumière » (svaprakâsha dans le védanta ).

    Du point de vue pratique, il suffit d’attendre face à une partie du corps pour qu'à un moment ou à un autre, la sensation finisse par s'y éveiller. C'est une attitude d'observation pure qui est de meilleure qualité quand le corps est très relaxé, comme un peu endormi, tel un chat qui fait semblant de sommeiller en face du trou de la souris, pour l'attraper dès qu’elle en sort. Cette attitude pourrait être comparée également à celle de l'esquimau qui fait un trou dans la banquise et attend que le poisson vienne pour l'attraper. Cependant, il n'est pas interdit d'utiliser certains moyens pour éveiller la sensation d'une partie du corps, cela peut rendre la méthode moins sèche pour les débutants qui se plaignent souvent de ne rien sentir : on peut par exemple imaginer que le souffle  rentre et sort par la peau comme à travers un mouchoir très fin, que ce même souffle ravive une braise presque éteinte, que du feu sort de la partie qu'on observe, ou bien encore qu’on la masse, ou que quelqu'un  la masse.

   Cette pratique est un entraînement direct à l'équanimité. Pour vérifier celle-ci, il est bon de se souvenir du visage. En effet, dès qu'une vraie sensation apparaît dans une partie du corps - cela n'est pas forcément immédiat - il y a une réaction au niveau du visage, si subtile soit-elle; c'est comme si celui-ci disait par son expression après une évaluation très rapide : "J’aime", "je n'aime pas" ou bien un "je suis indifférent". Ce début de réaction émotionnelle se marque sur des localisations précises du visage, que sous-tend un lien direct entre chaque partie du corps et la face. Le bassin correspond au menton et la bouche, la poitrine plutôt à l'étage du nez, le haut du sternum et le cou au front. Pour prendre un exemple supplémentaire, les genoux qui sont des protubérances osseuses à l'extérieur quand on est assis jambes croisées éveilleront par correspondance assez facilement la sensation des pommettes, car elles sont elles même des protubérances osseuses à l'extérieur, même si elles ont une taille bien différente. Pour chaque partie du tronc et des membres, il y a ainsi des lieux de projection préférentielle. Quand on a en quelque sorte un oeil dirigé vers la partie du corps qu'on observe, et l'autre vers le visage,  on peut les repérer, les relaxer et tendre ainsi vers une  équanimité parfaite.

   Une autre variante de vipassana permet d’affiner l’analyse des émotions opposées. J'aime bien l’enseigner en stage car je trouve que cela aide concrètement les débutants  à mieux comprendre et maîtriser leurs émotions, ce qui est une demande fréquente de leur part. On sait que les muscles fonctionnent dans chaque partie du corps de façon agoniste et antagoniste : c'est parce que le triceps se détend que le biceps en se contractant peut faire plier le bras. Sinon il y aurait tétanisation sans mouvement. De même, les sensations fonctionnent par pôles agoniste et antagoniste. Pour reprendre l'exemple de la contraction du pied gauche liée à la colère, si l'on se concentre sur la zone des antagonistes, c'est-à-dire le dos du pied et la sensation qu'elle provoque, on pourra sentir qu’elle sera reliée à un sentiment de détente, de paix et de pardon. Il en va  de même pour toutes les parties du corps, et l'on peut affiner de cette façon beaucoup l'analyse émotionnelle directement par la sensation.

   Si par exemple une émotion perturbatrice est particulièrement répétitive, on peut choisir de bien se la remémorer, d'abord dans tout le corps, et ensuite d'analyser chacune des parties. On s’apercevra que dans la plupart de ces parties, les émotions perturbatrices ne stimulent qu’une zone, aux dépens de la zone complémentaire qui reste insensible, comme aveugle. Quand on détend la zone stimulée et qu'on fait glisser la sensation vers la zone aveugle, on s’aperçoit que les associations émotionnelles correspondront à l'émotion contraire. On croit qu’une vague émotionnelle nous submerge complètement, mais c'est une erreur, elle ne touche que certaines parties du corps, et si l'on pousse l'analyse plus loin, dans ces parties, elle ne touche que certaines sous-parties. L'idée derrière tout cela est de faire un diagnostic physico-émotionnel très précis dans chaque partie du corps, pour que la "thérapeutique" dans ces parties soit aussi très précise. Certes, une pensée positive globale garde sa valeur, il est toujours bon de se dire "je ne me mettrai plus en colère, à partir de maintenant je resterai paisible", mais cela n'a pas toujours l'efficacité recherchée. C'est parce que l'on est comme un chirurgien qui voudrait faire l'exérèse d'une tumeur sans savoir exactement où elle est.

   Ceux qui débutent dans ces pratiques soulèvent parfois des objections car ils craignent d'augmenter les émotions négatives en allant en chercher les racines . Il faut comprendre qu'il s'agit dans un premier temps de préciser la localisation des émotions perturbatrices. Dans un deuxième temps, il s'agit de compenser ce travail par le glissement vers les sous-zones complémentaires ; à ce niveau-là, c'est à chacun de doser son temps de travail, entre l'observation des émotions négatives pour repérer leurs localisations précises et la concentration sur les sous-zones correspondant à des émotions positives complémentaires. Le point de vue traditionnel, pour ceux qui pratiquent beaucoup, c'est de tout simplement attendre que les émotions négatives remontent à la surface de la conscience pour les contempler, ce qu'elles ne manquent pas de faire quand on travaille avec suffisamment d'intensité. Les pratiques systématiques sont utiles pour les débutants car elles fixent leurs idées, mais après, il y a plus de place soit pour la spontanéité pure, soit pour des méthodes qui se révèlent  spontanément et qu'on pratique systématiquement pendant quelque temps.

     Notre être émotionnel fonctionne habituellement comme une partie de billard. Une sensation nouvelle, provoquée par un événement extérieur ou la remontée d'un souvenir, stimule une partie du corps. Ceci créé un déséquilibre qui se répercute ailleurs comme une boule de billard sur le tapis vert va cogner au hasard d’autres boules,  lesquelles vont en cogner elles-mêmes encore plusieurs autres, le corps est ainsi pris comme dans un filet dans ces  sensations, c’est ce qu’on appelle l’émotion. L’art du méditant, c'est de savoir ne pas même commencer la partie : ceci n'est pas un refoulement, puisqu'il balaie quand même chaque partie du corps. Au contraire, il porte son attention sur des zones  "aveugles", pratiquement jamais ressenties du corps qui correspondent à des zones refoulées de l'inconscient qui pourront alors se manifester. On pourrait comparer ce processus au fait d'éclairer une cave obscure avec lampe de poche : là où se projette le faisceau, on voit clairement alors que le reste de la cave demeure dans l'obscurité.

Si l'on a du mal au début à sentir les polarités sensitives reliées aux émotions opposées, on peut penser au geste instinctif causé par une émotion dans une partie donnée du corps. Prenons par exemple l’épaule : dans la peur, elle est relevée et va un peu vers le dedans, dans le courage, on se redresse et on bombe le torse, les épaules vont donc plutôt vers l'arrière et vers l'extérieur. Dans l'affection, on fait le mouvement d'embrasser, les épaules iront donc plutôt vers l'intérieur et un peu vers le bas, par contre, dans la colère et l’indignation, elles partiront vers l'arrière, l'extérieur et le haut : à chacun de ces mouvements opposés reliés à des émotions complémentaires correspondent aussi des sensations dans des localisations opposées au niveau de la peau qui recouvre les muscles stimulés.

   A chaque fois qu'une vraie sensation remonte dans une partie du corps, il y a un effet de surprise, même si elle est  très brève. Cela crée une petite distorsion, une irrégularité, une sorte d'encoche sur une respiration qu’on voudrait  lisse par ailleurs, un hiatus du rythme respiratoire qui, idéalement, devrait être tranquille et constant. C'est pour cela que l'observation des sensations est associée traditionnellement à un entraînement de l’attention à la respiration. En revenant sans cesse à une respiration complètement naturelle, on se libère de l'effet des sensations quelles qu'elles soient sur le mental. On a ainsi un espoir d'atteindre une véritable sérénité. On retrouve une analogie avec un nom même du Bouddha, le Tathâgata, celui, qui est venu, âgata, tel quel, tathâ ou dans une seconde interprétation, celui qui est allé, gata, tel quel, tathâ. Quand le souffle est observé sans interférence, il va et vient  "tel quel". C'est donc ce souffle même qui mérite le nom de tathâgata. En plus, il tend à la perfection, siddhârtha, du naturel et il est pleinement conscient, bouddha. Il mérite ainsi également ces deux autres noms de Gautama-Bouddha.

En empêchant que les émotions se propagent à une autre partie du corps, on arrive à se libérer et éliminer toutes sortes de liens intérieurs qui parasitent l'organisme, et qui risquent parfois de devenir pathologique. Les liens empêchent entre autres de maintenir une bonne posture de méditation malgré les efforts répétés. Il y a cependant des liens, auquel nous reviendrons dans la deuxième partie, qui servent à renforcer une bonne posture et qu'il convient donc d'encourager.

    Dans la méthode de vipassana de base, on remplace des chaînes de blocages par des ouvertures en chaîne. Cela n'est pas si différent de la pratique du yoga dans une définition qu'en donne la Bhagavad-Gîtâ en jouant sur le mot même yoga : yoga dukha-samyoga vijoga, « le Yoga, c'est la dissociation de l'association  à la douleur ». Si l'on balaye le corps de façon ascendante, on obtient un effet plutôt dynamisant, si on le fait de façon descendante, c'est un effet plutôt calmant. Ceci est surtout valable quand le rythme de balayage est assez rapide, s’il est lent par contre, en faisant un travail détaillé dans chaque partie, cette opposition de sens se fait moins ressentir.

    Chaque zone du corps est associée à une partie donnée de notre inconscient, aller en profondeur dans les sensations d’une zone revient à y faire une sorte de forage vertical, au travers de couches de plus en plus profondes afin de faire remonter les sédiments enfouis dans la mémoire. C’est comme si l'on descendait en bathyscaphe à la verticale dans notre océan intérieur : on verra des poissons divers et variés, parfois inconnus, qui se présentent en face de notre hublot. De cette façon, on aura la capacité d'interpréter par nous-mêmes le sens de certains symptômes ou maladies dont éventuellement nous souffrons dans une partie donnée du corps. Michel Odoul, auteur du livre bien connu "Dis- moi où tu as mal" (Dervy), reconnaît que c'est le sujet lui-même qui de toute façon est le mieux à même pour interpréter la signification profonde de la localisation corporelle de ses symptômes, de même que c'est le rêveur lui-même qui est le meilleur interprète de ses propres rêves, selon les particularités de son inconscient personnel.

   Il existe un tissu de liens dans le corps : un des noms de celui-ci en sanskrit est tanu, de la racine de *tan- qui a le même sens de base qu'en français tendre. Comme sens dérivés, on trouve les significations de tisser, créer, se manifester, tanu pouvant aussi signifier manifestation. Ces deux manifestations fondamentales que sont le corps et le monde sont formés d'un tissu. De tous les fils, les liens qui composent le tissu du corps par exemple, certains représentent un parasitage à une bonne observation du mental, d'autres une aide. En bref, on pourrait dire que les associations de sensations qui entraînent une perturbation de la posture juste de méditation forment les parasitages, et que les liens qui améliorent cette posture constituent  des aides. Par exemple, en position du lotus, si les genoux sont fermement poussés dans le sol, cela crée un réflexe de redressement de toute la colonne, c’est ce que nous pourrions appeler « un bon lien ».

          E.L Rossi est un des psychothérapeutes américains les plus connus, disciple et successeur de Milton Erickson. Il explique clairement, dans son livre Psychobiologie de la guérison (Epi, 1993) que les troubles et maladies psychosomatiques proviennent d'un excès de compartimentation, de fragmentation à l’intérieur du corps, et  entre celui-ci et les fonctions mentales supérieures, (émotions, imagination, etc.) En donnant à chaque partie du corps un temps d’écoute, on remédie directement à cette fragmentation.

   On peut voir chez les tibétains une allusion à ces liens multiples  dont nous parlions au niveau du corps subtil quand ils parlent de "corps de diamant" : en effet, ce qui fait la beauté d'un diamant, ce sont tous ces éclats, ces réflexions secondaires entre ses facettes ciselées. Dans la cabbale, on parle de miroirs qui font se refléter entre elles les différentes parties du corps subtil : nous sommes proches de la même idée.

    Dans la méthode d’analyse émotionnelle du corps partie par partie, on commence à chaque fois par vipassana, qui est en quelque sorte le diagnostic pour aller jusqu'à samatta, lié à la  thérapeutique : En effet, en amenant le soleil d'une conscience intense dans les sous zones opposées à celles stimulées par une émotion perturbatrice, on favorise l'émotion opposée positive qu'on pourrait appeler "restauratrice". On peut même choisir de se concentrer directement sur les émotions positives, en se focalisant sur chaque sous-partie du corps qui lui correspond exactement ; à ce moment-là, les zones correspondant aux émotions perturbatrices complémentaires seront  illuminées comme l'obscurité par le soleil.
 
 

Méditation selon le Yoga et  équilibre des latéralités dans le corps
 
 
 
 

   La méthode générale de méditation du Râja-Yoga consiste à faire converger les sensations du corps vécu dans le canal central, un peu en avant de la colonne vertébrale, et de les faire monter jusqu'au troisième oeil, voire jusqu'au sommet de la tête quand la conscience du corps n'est plus ni à droite ni à gauche, mais au centre : c'est à ce moment-là que l'énergie vitale fondamentale peut monter. De même, c’est quand le balancier du funambule est bien équilibré que celui-ci peut progresser sur la corde.

      Il y a déjà un déséquilibre du corps du à l'anatomie, cœur à gauche et foie à droite par exemple, celui-ci est renforcé par la différence de sensations entre l'hémicorps du côté de la narine fermée et celui du côté de la narine ouverte, le premier étant plus fermé, rigide, recroquevillé, dense, un peu comme chiffonné,  le second étant plus lâche, souple, ouvert et léger. Toutes les deux heures environ, le côté de l’ouverture change. En observant précisément, on remarquera par exemple que  les paupières du côté de la narine fermée sont obturées d'une façon plus forte, plus tassées l'une sur l'autre que du côté de la narine ouverte, où le contact est plus léger. Il en va de même pour les espaces intervertébraux, qui sont plus pincés du côté de la narine fermée à cause de la contraction des muscles paravertébraux, ce qui entraîne une déviation de la colonne du côté de cette narine fermée et une rotation de la tête dans le même sens.

   J’ai développé tout cela en détail dans mon livre Le mariage intérieur et si j’en reparle ici, c'est pour introduire une autre variante du balayage du corps partie par partie : on cherche à se focaliser successivement sur les parties bilatérales et symétriques, par exemple pied gauche et  pied droit, on observe d'abord la différence de sensations qu'il y a entre les deux, ce qui dépend de quelle narine est ouverte par rapport à l'autre qui est fermée. Ensuite, on croise simplement les sensations, on essaie de sentir le pied droit exactement comme le pied gauche et vice-versa, puis on continue ainsi avec les jambes, les moitiés droite et gauche du dos, de l'abdomen, de la poitrine, les bras, etc. jusqu'au visage et au sommet de la tête. Quand on réussit à ressentir deux parties bilatérales de façon complètement symétrique, comme si elles n'étaient plus qu'une, comme si elles se superposaient complètement, alors l'énergie de conscience s’engage spontanément dans l'axe central. On peut renforcer ce ressenti si on visualise au préalable ces parties symétriques comme superposées sur l'axe central, au niveau du front par exemple, ou encore du cœur. On expérimente alors ce que les bouddhistes appellent samatta et les yoguis samatvam, l’égalité, l’équanimité. On peut remarquer d’ailleurs que lorsque notre état émotionnel est tendu,  qu'on "va de travers", on sent une des latéralités plus tendue par rapport à l'autre. En équilibrant complètement les deux côtés, on "revient dans le droit chemin", celui du milieu. N'y a-t-il pas un proverbe latin qui dit In medio stat virtus ?
 
 

  Une manière complémentaire de travailler, c'est de "prendre l'énergie" dans une partie de l’hémicorps du côté de la narine fermée, et de la "mettre" dans la partie symétrique. C'est comme si on puisait des seaux d'eau dans un bassin trop plein pour en remplir un autre qui serait plutôt vide. Une autre manière encore de faire est de vérifier constamment l'équilibre de la colonne vertébrale qui a tendance à dévier du côté de la narine fermée, et l'orientation de la tête elle-même qui tend à se tourner aussi de ce côté. Cet effet s’ajoute ou contredit une légère déviation venant de la dissymétrie des jambes dans les positions jambes croisées. Corriger ces petites déviations qui semblent mineures peut être une pratique de méditation en soi, quand on a bien sûr une idée suffisamment claire du fondement de ces pratiques.

    Les anciens chinois parlent de l’inversion des polarités au moment de la naissance, quand on passe du "ciel antérieur" au "ciel postérieur" c'est-à-dire de la vie in utero à la vie sur terre : dans ce cas, après la naissance, et contrairement à ce qu'on dit en Occident, le côté masculin correspond à la gauche et le féminin à la droite. Inverser les sensations de gauche et de droite dans chaque partie du corps en vue d’un rééquilibre fait donc passer symboliquement au travers du mur de la naissance pour revenir au "ciel antérieur". Dans la cabbale, on parle aussi de "l'inversion des lumières", il serait intéressant d'entendre l'avis des experts de cette science ésotérique sur l'analogie de ces méditations.

    Quand on rassemble les sensations latérales dans l'axe central, on ne distingue plus entre gauche et droite, littéralement on ne sait plus "sur quel pied danser", donc on est immobile, et c’est le but de l'opération.

   Une façon traditionnelle de faire converger les sensations qui viennent de la gauche et de la droite du corps, c'est de se concentrer sur le troisième oeil au milieu du front grâce à une convergence oculaire. C'est comme si l’on  intensifiait de façon subtile les effets du corps calleux et des fibres qui relient les lobes frontaux. On sait que dans la lobotomie, on sépare chirurgicalement les lobes frontaux de patients gravement épileptiques pour les soulager de leurs crises; mais cela a l'inconvénient de les rendre comme des zombies, n'ayant plus de volonté personnelle et étant soumis complètement aux décisions des autres. Mais pour revenir à notre sujet, en se concentrant sur cette sorte de globe, de sphère qu'est le troisième oeil, on crée une masse insécable, ce qui est le sens étymologique de a-tome ; à l'inverse d'une lobotomie, on fait ce qu'on pourrait appeler une lob-atomie, une réunion inséparable des lobes, et cela renforce notre capacité à effectuer des choix personnels indépendamment de ce que pense la masse ou l'entourage.
 
 

    Ceux qui sont instables émotionnellement ne doivent pas pratiquer la concentration sur l'axe central et la montée de l'énergie dans celui-ci, ils ne pourraient pas supporter l'intensité qui en provient. De plus, ceux qui veulent pratiquer intensivement, même s'ils sont équilibrés au départ, doivent le faire en solitude, à l'occasion de retraites. Ce sera alors bien plus facile pour eux de gérer l'énergie qui s'éveille. Durant les huit mois de séminaires et de retraite que j'ai tenu en France, plusieurs personnes sont venues me voir pour ce qu'elles croyaient être des "montées de koundalinî". Aucune n'était authentique à mon sens. Souvent il s'agissait de crises hystériques – ces personne présentaient un terrain propice à cela- d'autre fois d'états-limites, donc entre hystérie et psychose. L’hystérie est aussi une montée d'énergie, mais qui se passe plutôt à l'avant du corps, de l’utérus jusqu’au visage, d’où le nom que lui ont donné les Grecs. Les signes de base sont restés les mêmes au cours de l'histoire, mais les hystériques sont toujours avides de trouver de nouveaux troubles, un peu mystérieux, dont on ne sait pas très bien s'ils sont pathologiques ou non. : à l'époque de Charcot et de Freud, c'était les convulsions, car on ne faisait pas bien la différence entre épilepsie et hystérie. Ensuite cela a été la neurasthénie, puis il y a eu dans les années 90 toute la question de la spasmophilie, où l'on ne savait pas très bien s'il s'agissait d'un trouble organique du calcium ou fonctionnel de type hystérique. En notre début de troisième millénaire, avec la mondialisation, c'est l'éveil accidentel de la koundalinî qui est à la mode. Quand les psychothérapeutes et le grand public connaîtront mieux ces sujets, les hystériques n'en continueront pas moins de faire leurs crises mais ils trouveront d'autres façons de les déguiser. Dans les états-limites et les psychoses débutantes, il peut y avoir une montée des sensations vers la tête avec une impression de se vider par le haut du corps, bien que ce ne soit pas une localisation exclusive pour ce type de déperdition d’énergie, Cela peut se passer aussi à l'endroit où il y a une injection, aussi étrange que ça puisse paraître... Il est intéressant de voir que traditionnellement, il y a une sorte de prévention de ce processus quand on demande au méditant de visualiser une forte présence lumineuse au sommet de la tête : il peut se représenter par exemple, assis en lotus à cet endroit-là, son guru, sa divinité d'élection, ou bien Shiva ou Shaktî. Les Tibétains préviennent aussi que les méditations de transfert de conscience, qui concentrent l'énergie sur le sommet de la tête, peuvent entraîner un vide d'énergie chronique, et même la mort. Je pense qu’en termes modernes, on parlerait d'entrée dans la psychose. Il y a deux qualités fondamentales pour les pratiquants spirituels, le discernement, viveka, et le détachement, vairagya. Leur absence ou  leur faiblesse peut tout à fait leur créer des problèmes, même s'ils ne relèvent pas directement des pathologies dont nous venons de parler.
 
 

    Nous avons vu qu'un terme pour "corps" en sanskrit était tanu. Ce mot est très proche de dhanu qui signifie arc, et les auteurs classiques de l'Inde ne se sont pas privés de rapprocher les deux notions. Le corps est un arc qui, s'il est convenablement tendu dans la bonne direction, permet d'envoyer la flèche de la conscience dans la cible du Soi. Pour cela, il faut savoir rassembler les sensations dans le "plan de la flèche", c'est-à-dire le plan sagittal, antéro-postérieur, qui inclut l'axe central, la série des chakras, le troisième œil et des points au-delà, au-dessus et en avant, sur lesquels on peut se concentrer.

   En guise d’exemple, lorsqu'on s'assoit en méditation après le sommeil de la nuit, on peut aller "dire bonjour" à chacune des parties de son corps, et de prendre  le temps d'écouter ce qu'elles veulent nous communiquer. Une partie du corps est comme un employé dans une petite entreprise, dont nous serions le patron. Si celui-ci en arrivant travailler se précipite dans son bureau et n'appelle ses ouvriers que pour leur faire des remontrances, il ne sera pas très aimé. Par contre, s’il prend le temps d'aller leur serrer la main et d'écouter même brièvement ce qu'ils ont à lui dire, il verra sa popularité augmenter. Mieux vaut être vis-à-vis de notre corps comme un patron aimé plutôt que détesté. Il s'agit au fond être "bien élevé" avec soi-même. Cette expression a en fait un sens yoguique profond : la conscience supérieure qui observe les parties du corps est  associée au troisième oeil, une position qui est donc "bien élevée" dans le corps...

    Quand on relie les diverses parties de l’organisme à la conscience du troisième oeil, on les rattache à l’Ami divin, celui qu'on appelle en sanskrit bandhu, l’ami, de la racine *bandh qui signifie lien. De cette manière, on fabrique jour après jour le tissu d'un corps subtil divinisé, et même si le travail semble à chaque fois se défaire de lui-même, et qu’il faut le recommencer jour après jour, l’époux divin finira bien par revenir nous trouver, de même qu’Ulysse est retourné à Ithaque retrouver son épouse Pénélope qui ne cessait de tisser.
 
 

En devenant clairement conscient des liens qu'il y a à l'intérieur de notre corps, et en distinguant entre ceux qui nous aident en nous reliant au divin et en facilitant une bonne posture, et ceux qui nous nuisent en nous prenant dans les filets d'une activité mentale inférieure et en induisant une posture incorrecte, on devient "maître des liens",  pahsu-pati en sanskrit, terme qui signifie littéralement maître, pati, de ceux qui sont liés, pashu, c'est-à-dire les animaux. Cela évoque la conscience individuelle, qui est elle-même servante de Shiva. Un des noms connus de celui-ci, sous lequel il est honoré par exemple dans le temple principal de Katmandou, est Pashupatinath, le Seigneur de Pashupati, c'est-à-dire de la conscience individuelle.
 
 

    Au contraire, dans l'activité mentale ordinaire comme dans le rêve, nous ne nous ne préoccupons pas de centration, notre regard intérieur va simplement de gauche et de droite en courant après les objets mentaux qui attirent son attention ; dans le rêve, ces mouvements mentaux s'accompagnent même physiquement de mouvements oculaires rapides, à tel point qu’on a nommé la phase du sommeil avec rêves "phase à mouvements oculaires rapides". Notre esprit est comme un balancier d'horloge qui oscille indéfiniment entre gauche et droite ; cependant, s’il peut se stabiliser au centre, le temps s'arrête, et l'énergie peut monter librement vers le Soi, le Divin, l'Intemporel.
 
 

Les isomorphies, ou les différentes facettes de ce diamant qu’est le corps conscient.
 
 

     Nous avons déjà évoqué le fait que certaines parties du corps se correspondaient préférentiellement dans l'expérience de méditation.. Ce fait est dû en général à une analogie de  forme ou de position, souvent des deux, ce qui a pour résultat que quelque part dans le cerveau, ces deux structures sont traitées en même temps. Nous appelons ce genre de correspondance vécues entre les parties du corps isomorphies. C'est une notion qui n'est pas sans rapport avec les homologies du Dr Francis Lefébure (cf « Les homologies » le Courrier du livre, 1949, 1978). On peut y voir aussi une résonance morphique interne, pour reprendre la notion de résonance morphique de Rupert Sheldrake (Une nouvelle science de la vie, 1985 et La mémoire de l'univers, 1988 au Rocher). Ces correspondances, ces résonances en réseaux à l'intérieur du corps  -on pourrait parler de « résomorphies »-  sont ce qui donne leurs formes entre autres aux émotions. Nous avons déjà mentionné que ces réseaux peuvent soit aider soit gêner la pratique selon qu'ils contribuent au non à une posture juste. Pour être concret, prenons l'exemple du nez : on peut dire qu'il correspond au tronc et à ce moment-là, le septum nasal évoquera le périnée, les ailes des narines les hanches, l'arête du nez la colonne vertébrale, (il y a inversion entre l’avant et l’arrière, mais cela ne gêne par le processus d’isomorphie, pas plus que les différences de taille). L'ensellure turcique correspondra au cou, et la partie au-dessus de la racine du nez à la zone des yeux qui est d’ailleurs la localisation du troisième oeil.
 

   Si l'on prend la poitrine par exemple, la partie en dessous des seins sera reliée au bassin, et le haut du sternum plutôt au front. Le sacrum, quant à lui, avec sa forme de triangle à pointe inférieure, se projette facilement au niveau des omoplates, et on pourra le visualiser également au milieu du front. Sa pointe inférieure se confondra alors avec la racine du nez. La prise de conscience de ce genre de correspondances permet de faire circuler l'énergie bien plus aisément, par exemple de la faire monter du sacrum au front via les omoplates. L’énergie du sacrum n'est pas automatiquement sacrée, mais avec ce processus, on la rend telle. Cela est une partie du travail de montée de la koundalinî.

   On utilise aussi un autre groupe de correspondances dans la pratique de la posture de siddhâsana. Le talon d'un des pieds est contre le périnée, celui de l'autre à la racine de l'organe sexuel, avec la pratique simultanée de la khechârî moûdrâ avec la pointe de la langue retournée vers la luette à la racine du palais, et les deux yeux fixant le centre au-dessus de la racine du nez. On appelle d'ailleurs celle-ci en sanskrit talu-mulam, ce qui a ce sens de "racine du palais" ; le talon quant à lui est nommé pada-mulam, la "racine du pied", et dans la posture de siddhâsana, on mène celle-ci vers mûlâdhâra, littéralement  la base de la racine, au niveau du périnée. Ainsi, dans cette posture, on a aligné dans une même méditation verticale six "racines" : les deux talons, la racine du corps, la racine de l'organe sexuel, celle du palais et celle du nez. Ces formes de structures analogues servent de pôles d'attraction à distance, entrant en résonance les unes avec les autres et favorisant l'ouverture des canaux d’énergies, c’est-à-dire des courants de sensations qui les relient.
 

     Dans un autre contexte, les isomorphies jouent un rôle important aussi, à mon sens, pour donner un début de compréhension des réflexes dont on se sert pour les traitements d'acupuncture. Par exemple, le point ro-kou, nom qui signifie "le fond de la vallée", se trouve à l'extrémité de cette vallée que forme le premier et le second métacarpien.  Il est utilisé pour soigner les douleurs des molaires et dents de sagesse. Quand on y réfléchit, il y a correspondance de forme, isomorphie entre la pince que forment le pouce et l’index et celle que forment mâchoire supérieure et mâchoire inférieure. Il n'est pas étonnant alors que le "fond de la vallée" soit relié au fond de la pince mandibulaire, c'est-à-dire les dents de sagesse et les molaires.

    Au niveau de la main toujours, le troisième doigt, par sa position médiane, sera relié à la colonne vertébrale. Si en particulier la main est levée, la dernière articulation inter-phalangienne correspondra à la nuque, l'ongle à l'occiput et le bout du doigt au sommet de la tête. Il faut bien comprendre que ces isomorphies  ne sont pas univoques, elles peuvent varier selon la position des parties mobiles, mains, pieds par exemple. Il existe une isomorphie qui est bien connue maintenant en réflexologie, c'est la projection de tout le corps dans une partie donnée, par exemple l'homonculus inversé au niveau du pavillon de l'oreille qui rend possible l'auriculothérapie, et la projection du corps au niveau de la plante du pied qui rend possible la réflexologie plantaire. Il y a un autre homonculus dont on se sert en Yoga, en particulier dans les pratiques de Kriya-Yoga : Lahari Mahashay, le fondateur de la forme moderne du Kriya-Yoga, l'appelle angushta purusha, l’homme (purusha) pouce (angushta). En pratique, on se représente dans la zone médiane du front son propre corps vu de dos et ayant la dimension d'un pouce. Cette visualisation favorise la transmutation de l'énergie, que ce soit celle des sensations venant du corps ou l’énergie du son qui vient de la base de celui-ci grâce au travail du Om. Rien n'empêche de poursuivre cette ascension de l'énergie en se représentant dans le front de "l'homme-pouce" un autre "homme-pouce" plus petit et ainsi de suite …
 
 

    Une base d'associations, d’isomorphies importante dans la posture de méditation la plus classique est tout simplement la rencontre des deux pouces quand les deux mains sont posées l'une sur l'autre. Elle sert de structure de cristallisation aux expériences de rencontre dans l'axe central de courants de sensations venant de la gauche et de la droite. Quels que soient les points du plan sagittal où l’on veuille faire se rencontrer les courants de sensations gauche et droite, visualiser ces points comme tenus entre les deux pouces permet de favoriser le processus de confluence. Les dernières phalanges des pouces sont comme deux gouttes d'eau, quand elles se touchent, elles ont une tendance naturelle à rentrer en coalescence. Les pouces qui se rencontrent au-dessus des mains dessinent une sorte de sphère qui évoque l'unité de l'être originel : on se souviendra par exemple que pour Platon, l'être originel était sphérique. Il n'est pas si étonnant que les états intérieurs, par exemple ici l'expérience d'unité, puissent se manifester dans les mains. Le mot même mani-fester ne comprend-il pas le mot main ?

   L'expression des enfants qui ne veulent plus jouer est intéressante. Il disent : "Pouce, j'arrête!" Quand on réunit les deux pouces dans une même horizontale, c'est comme si tous les couples d'enfants qui se disputent en nous, les polarités qui semblent parfois irréconciliables, disaient tout d'un coup : "Pouce, je ne joue plus !" En acupuncture, les pouces sont reliés au méridien du poumon. Garder les pouces dans une position médiane  peut être ainsi assimilé à un désir de respiration équilibrée, entre le haut et le bas des poumons, et entre l'avant et l'arrière dans la dilatation thoracique. Les chinois associent la tristesse, émotion perturbatrice, aux poumons; elle  est en général liée à un sentiment de solitude. Si les deux pouces "solitaires" se retrouvent, la solitude disparaît, et la tristesse s’en va. Etonnant mais vrai, cela fonctionne : quand on a l'habitude de cette pratique, elle donne immédiatement une joie qui est celle de l'union.

    L'enfant a tendance à sucer son pouce pour se calmer, se rassurer, et évidemment se rappeler la présence du sein et de la maman qui l’a nourri. La réunion des deux pouces évoque aussi la fusion enfant-mère - il suffit d'associer un côté à l'enfant et l'autre à la mère- mais en se dégageant de la phase de dépendance orale. La sécurité provient alors non plus de cette dépendance, mais d'un équilibre intérieur entre gauche et droite c'est-à-dire entre toutes les polarités de l'individu. Quand on voit approfondit la pratique, on peut en plus établir un lien entre le contact des pouces et la récitation du mantra : dans les deux cas, une association de départ à la satisfaction orale (langue dans le cas de la récitation, ou pouce dans la bouche) est transformée en expérience spirituelle. Le petit doigt est associé à une certaine superficialité - on caricature par exemple quelqu’un de snob en se le représentant en train de prendre sa tasse de thé avec le petit doigt levé. Peut-être est-ce dû à sa structure fragile ou à sa situation externe quand la main est en position de pronation. En tous les cas, par opposition, le pouce est plus facilement associé à une notion de profondeur et de force.

    Dans la tradition de l'Inde, il y a un chakra secondaire au centre de la paume, comme une fleur qui s'ouvre vers le ciel quand les mains sont en position de méditation. Cette fleur cherche naturellement le Soi à la manière du tournesol qui cherche le soleil. L'axe central du corps est également une tige, dont la fleur serait le cerveau. Celui-ci est aussi comme un tournesol qui cherche le soleil du Soi.

      Si l'on s’intéresse maintenant aux isomorphies, aux homologies qui vont au-delà du corps, on peut poursuivre la comparaison de la fleur. Francis Lefébure fait remarquer à juste titre que la forme de la colonne vertébrale elle-même correspond à la disposition des feuilles dans une plante habituelle : d'abord petites, elles deviennent assez rapidement très grandes et diminuent de nouveau jusqu'au sommet, pour devenir d'une taille minimale au niveau des sépales juste sous les pétales, dessinant ainsi à peu près une pointe de lance. Cela évoque l'augmentation de taille des vertèbres sacrées jusqu'à la cinquième lombaire, la diminution progressive des corps vertébraux jusqu'à l’atlas et l'épanouissement de cette fleur qu’est le cerveau. Il y a des correspondances inversées entre la plante et le corps humain qu’il vaut la peine de relever : la plante se nourrit par les racines, en particulier par d'innombrables radicelles directement en contact avec la terre, et respire par les feuilles. Ces organes de respiration et de nutrition sont donc à l'extérieur, alors que chez l'homme,  les poumons et les villosités intestinales qui évoquent les radicelles sont ce qui il y a le plus à l'intérieur. L’évolution naturelle semble vouloir nous dire que pour en venir à l'être humain, un processus d’intériorisation est nécessaire. De même, dans la plante, la nutrition est en bas alors que la reproduction est en haut, au niveau de la fleur, avec le pistil, les étamines et le pollen. A l'inverse, chez l'homme, la fonction de nutrition est en haut avec la bouche, alors que celle de reproduction est en bas. Nombreuses sont les traditions ésotériques qui ont remarqué que l'être humain était une plante inversée qui a ses racines dans le ciel d'où il retire une sève de lumière.

    Pour continuer avec des images "éclairantes", on pourrait dire que les sensations qui montent du corps en méditation sont comme les rayons des différentes couleurs de l'arc-en-ciel qui convergent vers le troisième oeil. Il y a là un prisme qui transforme ces courants divers et variés en un faisceau de lumière blanche et unique, qui se dirige directement vers le soleil du Soi, auquel il a toujours appartenu.
 
 
 

     Les pratiques de méditation décrites dans ce texte s’adressent à des chercheurs spirituels qui sont prêts, selon cette notion si importante d’adhikari dans la tradition de l’Inde. Les méditations centrées  sur les sensations corporelles ne sont par exemple pas recommandées pour des patients hypocondriaques, qui n'ont que trop tendance à prendre celles-ci comme une base de maladies imaginaires. De façon générale, il est vrai que des gens perturbés psychologiquement peuvent éventuellement bénéficier de pratiques simples de méditation, mais ceci à deux conditions : déjà, qu'ils aient de l'intérêt à pratiquer, et deuxièmement, qu’ils soient suivis directement par un psychothérapeute qui ait lui-même l'expérience de ces pratiques de méditation. Pour les chercheurs spirituels normalement équilibrés, ces méditations où l'on étudie très précisément le rapport entre sensations corporelles, émotions et images mentales forment une base : elles sont aux autres pratiques méditatives ce que sont les mathématiques aux autres sciences, elles permettent d'aller plus loin avec une fondation plus solide.
 
 

Par le Dr Jacques VIGNE




 
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