Les mots ouverts
Quelques techniques pour enrichir rapidement
son vocabulaire dans une langue étrangère
Par le Docteur Jacques VIGNE
Médecin-psychiatre, chercheur en Psychologie Trans-culturelle
Maison des Sciences de l’Homme (Paris)
Gurukul Kangeri University, Hardwar (Inde)
Le Dr Jacques Vigne a une formation de
psychiatre et réside depuis douze ans en Inde pour sa pratique spirituelle
et l'écriture. En plus du latin, du grec et de l'allemand qu'il a
appris dans ses jeunes années, il pratique et lit le hindi régulièrement
et a de bonnes bases de sanskrit. Récemment, il a appris en quelques
semaines à lire la presse en Népali et à lire également
facilement en espagnol. Il explique ici les méthodes principales qu'il
a élaborées pour mémoriser rapidement et de façon
durable une quantité importante de vocabulaire. Chaque domaine a son
type de mémoire, celle nécesssaire pour apprendre la médecine
par exemple est assez différente de celle pour apprendre du vocabulaire
nouveau.
L'originalité de cette méthode est de penser à
'ouvrir' les mots qu'on souhaite associer, et à créer des mots
intermédiaires, mi-anglais mi-français si par exemple on est
en train d'apprendre l'anglais. Par exemple, pour apprendre 'puny' qui signifie
'chétif' on crée les mots hybrides *pu-tif et *che-ny qu'il
suffira alors de répéter dix ou vingt fois de plus en plus
rapidement pour créer un lien trés solide entre les deux mots.
L'efficacité de cette méthode peut être évoquée
par une comparaison; si l'on veut coller deux boules de billard (cad deux
mots) ensemble et qu'on les met juste près l'une de l'autre avec un
peu de colle, elles ne tiendront pas car il n'y aura qu'un seul point de
contact; Par contre, si on les coupe en deux et qu'on colle les demi-sphères
l'une à l'autre, l'adhésion sera maxima. C'est le principe
de base. On pourra objecter qu'on va s'encombrer la mémoire de mots
qui n'existent pas et qu'on confondra avec les nouveaux mots à apprendre;
mais ce n'est pas le cas: l'inconscient comprend trés bien qu'un mot
qui est à moitié français ne peut-être le mot
anglais final.
En pratique, les mots pour lesquels on peut faire un croisement sur
une lettre commune ou similaire seront plus facilement retenus: par exemple
criquet qui se dit locust a le son k en commun en milieu de mot et donnera
lieu à un croisement efficace du point de vue mnémonique: *cri-cust
et *lo-quet.
De plus, on peut s'aider de structure du mot similaire, en intervertissant
les préfixes ou les suffixes d'une langue sur l'autre: submergé
(par l'émotion) se dit overwhelmed, d'où: *sub-whelmed et *over-mergé.
Nuisible se dit harmful; d'où les hybrides *nuis-ful et *harm-ible.
Même avec des mots composés, le croisement sera efficace, tout
dépourvu de sens qu'il soit bien évidemment. Pomme de pin se
dit pine cone, d'où *pomme de cone et *pine pin. Cela suffit pour
que les aires mnémoniques des deux mots se recouvrent, leur rythmes
s'interpénètrent et qu'il y ait donc un bon lien entre eux.
Pour les mots courts, on peut passer de l'un à l'autre en changeant
l'un en l'autre lettre par lettre, continûment comme les couleurs d'un
arc-en-c iel:
On peut aussi inclure un mot court dans un mot long en se servant de
lettres similaires si possible: tohu-bohu peut se dire hubbub, d'où
le mot hybride to-hubbub-hu en se servant du 'hu' commun.
Si la lettre commune ou similaire est au début d'un des deux
mots, on s'en sert aussi comme lettre-charnière: matraque se dit truncheon,
le t commun est exploité en faisant *ma-truncheon.
S'il n'y a pas de lettre commune ou similaire, on peut chercher en français
un mot synonyme dont le son se rapproche plus du mot à apprendre.
Faire des jeux de mots, des calembours dans la langue qu'on apprend
est aussi une aide précieuse. Par exemple, pour apprendre à
distinguer les mots courts en 'un' rapidement, on peut faire le calembour
suivant: 'He made a pun saying that the nun's fun was to run after buns' ce
qui en français n'a guère de sens (il a fait un calembour en
disant que le jeu de la religieuse était de courir après les
chignons), mais là n'est pas la question...
Ces techniques de mots ouverts peuvent aussi être utilisées
à l'intérieur de la langue qu'on apprend, pour mêler intimement
un synonyme nouveau un peu rare, avec le mot plus simple qui nous viendra
en premier lieu à l'esprit quand on cherchera à parler. Cela
permet d'intégrer dans son vocabulaire actif des mots qu'on comprend
quand on les lit mais qu'en pratique on n'arrive pas à utiliser car
ils sont 'recouverts' par des mots plus faciles qu'on connaît mieux.
Ces mélanges de mots peuvent aider à mémoriser
des poèmes aussi. En mêlant un des derniers mots d'un vers ou
d'une strophe avec un des premiers du vers ou de la strophe suivante, on
évite ces trous de mémoire à la reprise qui sont particulièrement
traîtres et désespérants pour ceux qui ont fait un gros
effort pour mémoriser le poème. Là encore, associer
deux mots qui ont des lettres communes ou similaires favorisera une mémorisation
rapide. Pour plus d'exemples, on pourra se référer à
la version anglaise de cette article qui est plus complète et détaillée.
Je donne en particulier une série d'exemples pour apprendre rapidement
du vocabulaire dans une langue a priori difficile, le Tibétain: je
reproduis cette partie du texte anglais si dessous pour plus de commodité.
L’idée d’écrire cet article
est venue à la fois de mon intérêt professionnel pour
le fonctionnement de l’esprit, en tant que médecin-psychiatre, et
de mon intérêt personnel pour les langues. Après mes
études secondaires, bien qu’étudiant en médecine, j’ai
continué une certaine pratique du latin et du grec. Lorsque
j’ai fait des séjours en Allemagne, je parlais suffisamment la langue
pour échanger à peu près normalement avec les habitants.
Résidant depuis cinq ans en Inde, j’ai pris l’habitude de fonctionner
de plus en plus sur quatre langues : il me semble que je rêve plutôt
en français, j’utilise quotidiennement l’anglais, je lis chaque jour
le journal en hindi, et je commence à me lancer dans des conversations
philosophiques dans cette dernière langue. J’ai maintenant de bonnes
bases en sanskrit également pour l’étude des textes classiques
de l’Inde.
I ) LA MEMOIRE ET LES LANGUES
J’ai toujours été intéressé par les phénomènes
de mémoire, d’une part parce que la mémoire est une des
bases essentielles du développement de l’être humain : non seulement
de son esprit au sens mécanique du terme, mais aussi de sa sagesse
et de sa sensibilité : de Platon à Proust en passant par Saint
Augustin, Raymond Lulle ou Nerval, réminiscence et intériorité
ont été étroitement associées. D’autre
part, comprendre les phénomènes de mémoire a un aspect
utilitaire : du début à la fin des études, on demande
beaucoup aux étudiants de mémoriser : chaque branche de la
connaissance a son type de mémoire particulier, nous nous intéresserons
ici surtout à la mémoire nécessaire à l’apprentissage
du vocabulaire dans une langue étrangère.
Ceux qui ont l’habitude d’apprendre des langues développent chacun
leurs méthodes, leurs recettes pour mémoriser rapidement. Les
pédagogues ont eux aussi élaboré des procédés
bien connus qui aident à soutenir l’intérêt et l’attention
des élèves pendant les classes de langues, facteurs essentiels
de mémorisation. Les moyens pratiques que je présente
ici ne viennent pas en remplacement de toutes ces méthodes, mais en
complément, ou en confirmation de certains de leurs aspects. Une des
bases de l’enseignement des langues, c’est de stimuler leur usage actif et
de maintenir dans le groupe d’étudiants une participation et un investissement
émotionnel. Il y a eu à ce propos une expérience de
psychologie intéressante : on dit à des gens en état
de relaxation une liste de mots d’une langue étrangère sur
un ton neutre, en leur demandant d’en mémoriser le plus possible.
On note les résultats de ce groupe témoin. Dans un second groupe,
on dit la même liste de mots, mais le ton n’est plus neutre : il exprime
toutes sortes d’émotions allant de la joie à la peine. Le second
groupe mémorise mieux que le premier. Des méthodes comme
la suggestopédie du Dr Lozanov (1) combinent la relaxation, l’apport
d’un grand nombre de mots nouveaux en même temps et les jeux de rôle.
Ceux-ci favorisent évidemment l’investissement émotionnel et
la participation active des élèves. Un moyen simple d’étendre
à plusieurs registres de la mémoire l’impact d’un mot nouveau
afin de mieux le mémoriser, c’est de l’écrire plusieurs fois
en disant son sens à voix haute. On associe ainsi les stimulis
auditifs aux stimulis visuels et gestuels.
J’ai essayé de nombreuses méthodes, de nombreux procédés
pour favoriser un apprentissage rapide du vocabulaire. Je ne leur ai
parfois trouvé qu’un intérêt théorique.
Je me suis intéressé à l’histoire des techniques de
mémoire, en particulier par la lecture d’une étude très
documentée intitulée : ‘L’Art de la Mémoire’ (2).
C’était intéressant du point de vue psychologique et historique,
mais ne donnait guère de moyens pratiques pour la mémorisation
du vocabulaire. De même, les livres de psychologie sur la mémoire
font
référence à un certain nombre d’expériences qui
ont amené un progrès dans la recherche scientifique, mais ne
donnent guère d’éléments utilisables en pratique.
La mnémotechnie développe souvent le mécanisme de base
de la mémoire, qui est l’association : c’est là son utilité.
Cependant, les moyens mnémotechniques en eux-mêmes sont souvent
plus difficiles à mémoriser que ce que l’on voulait retenir
au départ, et c’est là leur limite.
Je me suis beaucoup intéressé à la relaxation thérapeutique
(3) et aux possibilités de visualisation dans un état de détente.
Autant la visualisation a un intérêt considérable dans
le domaine de la psychothérapie, autant il me semble restreint dans
le domaine des langues. Même quand on sait bien visualiser un
objet mentalement, ce qui n’est pas forcément facile, le fait de se
le représenter en répétant le mot qui le désigne
dans une langue étrangère ne réussit pas si bien, c’est
au moins mon expérience. Visualiser un livre en répétant
‘book’ aide un peu, mais ce n’est pas si efficace ; cela est peut-être
dû au fait que les mécanismes de visualisation et de langage
sont très séparés au niveau du cerveau, le premier relevant
du cerveau droit, le second du cerveau gauche. Les images sont une
aide pédagogique utile, surtout au début, mais je vois mal
comment développer par exemple l’anglais littéraire à
l’aide d’images à chaque fois. Le plus rapide dans mon expérience
est de trouver des moyens d’associer non pas le mot à l’image, mais
le mot au mot directement, afin de rester dans le même type de mécanismes
mentaux. Il est possible d’ailleurs que ce qu’on croit être une
association ‘ image-mot étranger’ soit en fait surtout une association
‘mot français-mot étranger’ ; il est naturel pour un français
voyant l’image d’un livre de penser immédiatement ‘livre’. S’il décide
de dire ‘book’ en même temps, les deux s’associent spontanément.
Nous ne sommes pas des enfants nouveaux-nés : il est certes séduisant
d’espérer pouvoir apprendre une langue avec la fraîcheur intellectuelle
et émotionnelle d’un enfant d’un an, mais c’est peu réaliste
; tout au plus, on peut se détendre, apprendre comme par jeu, ne pas
avoir peur de se tromper ou d’être ridicule, mais on reste obligé
de tenir compte du conditionnement de départ de sa langue maternelle,
fortement ancrée déjà à la fin de la première
enfance. L’idéal est bien sûr de penser dans la nouvelle
langue, mais comment faire pour atteindre ce niveau rapidement, surtout si
on ne vit pas dans le pays ? Une méthode qui réussit
bien quand elle est possible, c’est de chercher à comprendre l’étymologie
du mot à apprendre, de voir d’où il vient, comment il est composé
et, au moins pour les langues indo-européennes, de voir si sa racine
peut être rapprochée d’un mot français. Cependant,
quand il n’y a pas ou qu’on ne voit pas d’étymologie commune, comment
faire ?
Nous en venons au problème central de cet article : il y a un mot
français, sa traduction en une langue étrangère à
côté, comment faire pour associer étroitement les deux,
pour que la mention d’un des deux mots rappelle l’autre immédiatement
non seulement dans notre vocabulaire passif, mais aussi dans notre vocabulaire
actif ? Comment parvenir à ce but quand on se retrouve seul
en face d’un texte ou d’une liste de vocabulaire à mémoriser,
qu’on n’a pas de professeur pour vous faire parler ou qu’on n’habite pas
dans le pays étranger ? Certes, la pratique fera que ‘ça
rentrera tout seul’, mais comment faire pour que ‘ça rentre tout seul’
plus vite ?... Y a-t-il des moyens plus élaborés et plus efficaces
que le simple fait de répéter ‘livre-book’, ‘livre-book’
le plus de fois possible ? Les techniques que je présente ci-dessous
sont simples ; cependant, elles ne se sont clarifiées dans mon esprit
qu’après un long temps de pratique de l’apprentissage des langues
; c’est bien pour cela qu’il m’a semblé utile d’écrire à
leur sujet, et de préciser ces moyens ‘simples’ qui ne sont pas si
évidents, ou qui sont tellement évidents qu’on ne les prend
pas clairement en conscience, et qu’on ne peut les exploiter systématiquement.
J’ai été aidé dans leur mise au point par la pratique
de la relaxation profonde et du sommeil conscient : j’ai pu mieux comprendre
comment les mots
s’associaient, se mélangeaient entre eux de manière irrationnelle,
au moins en apparence. Ce sont les mêmes mécanismes d’associations
qui, quand ils restent inconscients, créent la confusion entre les
mots et qui, s’ils deviennent conscients, sont le plus puissant moyen de
mémorisation.
II) QUELQUES TECHNIQUES DE ‘ MOTS OUVERTS
‘
1) Technique de croisement
a) Technique de départ
Il s’agit de créer momentanément des
mots nouveaux intermédiaires entre la langue de départ et la
langue d’arrivée, nous utiliserons pour les exemples le français
et l’anglais. Supposons que nous voulions apprendre le mot ‘pilferer’
qui signifie ‘chapardeur’. On coupe les mots en deux et l’on crée
deux mots mixtes avec chacun une moitié française et une moitié
anglaise. On répète ces mots rapidement un petit nombre
de fois :
pilferer *pil-pardeur
chapardeur *cha-ferer
Les mots intermédiaires ont une existence éphémère
: ils sont oubliés rapidement mais l’association entre ‘pilferer’
et ‘chapardeur’ reste solidement ancrée dans la mémoire. L’association
marche d’autant mieux qu’on peut trouver des lettres communes ou qui se ressemblent,
si possible des consonnes et si possible au même endroit dans le mot.
Dans cet exemple, le ‘fer’ de ‘pilferer’ et le ‘par’ de ‘chapardeur’ se ressemblent
: il s’agit des secondes syllabes, débutant par les lettres voisines
‘f’ et ‘p’ (cf ph ----f ) et le ‘r’ étant
commun. On peut dont prévoir que le mot sera mémorisé
assez facilement. Il est compréhensible que les consonnes soient
des points d’ancrage de la mémoire plus sûrs que les voyelles,
car les consonnes forment le squelette du mot, elles structurent les racines
: il suffit de se souvenir de l’Hébreu biblique où l’on n’écrivait
pas les voyelles.
b) Chercher les synonymes
Il ne faut pas hésiter à choisir, parmi
les différentes traductions possibles d’un mot anglais, le mot
français qui lui ressemble le plus dans sa forme, avec lequel il a
le plus de lettres communes : par exemple ‘splutter’ signifie ‘cracher’ ‘crachoter’,
mais il signifie aussi ‘bredouiller’. Dans ce dernier sens, on retiendra
l’association plus facile car on pourra faire le croisement suivant :
splutter *splut-ouiller
bredouiller *bred-ter
On remarquera que le ‘b’ de bredouiller est une labiale
comme le ‘p’ de ‘splutter’, le ‘r’ et le ‘l’ sont deux liquides,
et sont tous deux vers le début de la première syllabe.
Le mot a donc des chances d’être retenu assez aisément.
Dans l’exemple de la technique de départ, on peut remplacer ‘chapardeur’
par ‘pillard’ qui s’associe plus naturellement à ‘pilferer’, même
si l’on ne sait pas s’il s’agit d’un rapprochement fortuit ou d’une réelle
étymologie commune. Ici, notre premier propos est de mémoriser.
c) Cas des mots avec préfixes
La séparation naturelle entre préfixe et
racine indique comment faire le croisement :
submergé (par l’émotion)
*sub-whelmed
overwhelmed
*over-mergé
La mémorisation sera facilitée par la présence
d’un ‘m’ commun dans les secondes syllabes. Il ne faut pas hésiter
à faire ce croisement dans le cas fréquent des mots anglais
dont on comprend assez facilement le sens, mais qu’on ne pense pas à
employer dans son vocabulaire actif, c'est-à-dire dans le sens thème
: par exemple, on comprend assez facilement que l’anglais ‘proprieties’ signifie
‘convenances’ dans le sens de ‘bonnes manières’, ‘ce qui est approprié’.
Ce n’est pas pour autant qu’on pensera immédiatement à ‘proprieties’
quand le français ‘convenances’ viendra à l’esprit ; on fait
donc un croisement : *con-prieties et *pro-venances. Quand
on apprend l’anglais, ces cas se rencontrent fréquemment, de même
que dans les cas suivants :
d) Cas des mots à étymologie évidente
Il est facile à comprendre que ‘pinecone’ signifie
‘pomme de pin’, cette dernière étant conique. Cela ne
signifie pas qu’on pensera immédiatement à ‘pinecone’ en voulant
traduire ‘pomme de pin’ : là encore, le croisement suivant, très
simple, sera utile :
pine cone *pine pomme
pomme de pin *cone
de pin
e) Croisements directs
Dans les cas fréquents où il n’y a pratiquement
aucune lettre commune, ni même similaire, on peut malgré tout
faire un croisement :
puny *putif
chétif *ché-ny
Mais il faudra le répéter plus longtemps,
car il sera plus difficile à mémoriser. Dans cet exemple, une
recherche de synonyme aidera : on pourra associer plus directement ‘puny’
à ‘petit’ ; à partir de là on se souviendra en fait
sans trop de difficultés que ‘puny’ a une nuance de ‘malingre’,
‘chétif’.
2) Technique de ‘ l’arc-en-ciel’
Il s’agit de croiser les mots, de les mélanger,
mais cette fois-ci non plus syllabe par syllabe, mais lettre par lettre,
en faisant un dégradé continu comme les couleurs de l’arc-en-ciel.
C’est particulièrement utile si l’on veut associer deux mots étroitement,
par exemple un mot anglais et sa traduction dont on ne réussit jamais
à se souvenir :
glimmer
glimmer *limmer
*lummer
luire *luer
luire
On ne doit pas confondre ‘glimmer’ avec ‘glitter’,
‘scintillement’ :
glitter
glitter *scitter
scintillement *scinter
scintillement
Si ce procédé est utile pour retenir les
mots courts de l’anglais, il n’est guère utilisé pour retenir
les mots longs : en effet, le problème ne se pose guère ;
soit les mots longs viennent directement du français, soit ils sont
facilement réductibles à une combinaison de deux mots courts.
(Par exemple ‘circumstantial’ et ‘workshop’).
3) Technique de l’inclusion
Le plus souvent, le mot et sa traduction n’ont pas le
même nombre de syllabes ; on peut alors tenter d’inclure le plus court
dans le plus long. Par exemple, ‘hubbub’ signifie ‘vacarme’, ‘remue-ménage’
: ceci ne nous aide guère, car il n’y a pas de consonnes communes
entre le français et l’anglais : par contre, ‘hubbub’ peut signifier
‘tohu-bohu’ : c’est ce mot qu’il faut utiliser pour faire l’inclusion, en
créant un mot intermédiaire qui sera un ‘mot farci’ pourrions-nous
dire pour les amateurs de cuisine :
tohu-bohu
*to-hubbub-hu
hubbub
Il est évidemment plus facile de choisir pour l’inclusion
la partie du mot long qui ressemble le plus au mot court. ‘Squash’
signifie ‘aplatir’ ou ‘presser’, ce qui ne nous aide guère
; mais il signifie aussi ‘écraser’ : on peut à ce moment
là l’inclure en créant le mot intermédiaire ‘é-squash-er’.
‘Keen’ ‘aiguisé’, donnera lieu au mot intermédiaire ‘ai-keen-ser’.
On peut associer évidemment la technique de l’inclusion à celle
de l’arc-en-ciel :
célibataire
célibataire (femme) *célispataire
*célispastaire
spinster
*célispinster
spinster
4) Technique de la lettre-charnière
Une difficulté dans l’apprentissage d’une langue
étrangère, c’est que souvent, il n’y a pas plus qu’une ou deux
lettres communes, et encore, elles ne se trouvent pas à la même
position dans le mot : on se tire d’affaire néanmoins en accrochant
les deux mots à la suite l’un de l’autre en s’aidant d’une ‘lettre-charnière’
commune :
matraque
*matruncheon
truncheon
Si on a peur de ne pas retenir cette association qui est
plus fragile que les précédentes, on peut rajouter un ou plusieurs
mots intermédiaires selon la technique de l’arc-en-ciel :
matraque
matraque *matraqueon
*matracheon
truncheon *matruncheon
truncheon
Même s’il n’y a pas de lettre commune pour servir
de charnière à l’accrochage des deux mots, des lettres du même
groupe comme les deux liquides ‘r’ et ‘l’ pourront suffire :
poireau
poireau *poileau
*poileauk
leek *poileek
leek
5) Technique des ‘mots qui tournent’
C’est en fait un cas particulier de la technique précédente,
quand il y a des lettres-charnières à la fois au début
et à la fin des deux mots à associer :
loop
loop-boucle-loop-boucle-loop-boucle…
boucle
C’est une éventualité assez rare, mais qui
mérite d’être recherchée car elle permet d’associer immédiatement
deux mots de manière très étroite ; en effet, la mémoire
aime les structures circulaires : il suffit de se rappeler des comptines
enfantines dont la fin se raccroche au début ; on a du mal à
les oublier.
6) Technique des jeux de mots et des phrases sans queue ni tête
Nous nous éloignons ici un peu des mélanges
de mots, mais comme il s’agit d’un procédé fort utile et bien
connu, je pense, de ceux qui apprennent les langues, je le mentionne
ici : il s’agit de rassembler dans la même phrase des mots qui se ressemblent
et qu’on ne doit pas confondre, par exemple :
‘He made a pun saying that the nun’s fun was to run after
buns’.
Evidemment la traduction française perd tout le
charme du calembour, et ne garde pour elle que la pauvreté du sens
:’Il a fait un calembour en disant que l’amusement des religieuses, était
de courir après les petits pains au lait …’ Cette technique
est particulièrement utile quand on cherche un mot nouveau dans un
dictionnaire anglais-français et qu’on ne veut pas le confondre avec
les mots qui le précèdent et qui le suivent et que l’on connaît
plus ou moins. Il est bon pour éviter la confusion, de combiner cette
méthode des jeux de mots avec les techniques de mélange, permettant
d’associer directement les mots-clés du calembour à leur équivalent
français (par exemple : pain, bain, bun). Cette méthode est
efficace car active, on doit chercher à construire une phrase nouvelle
; en général plus cette phrase est comique ou absurde, mieux
on la retient...ainsi va la mémoire ! Sans même utiliser
de jeux de mots, on peut simplement intégrer le mot ou l’expression
à retenir dans une phrase anglaise, puis construire ensuite une seconde
phrase anglaise ne contenant cette fois-ci que des mots connus, et ayant
le même sens que la première phrase.
La mémoire fonctionnant principalement par association,
plus on relie un mot à d’autres mots, plus on a de chances de le retenir.
Je pense que la plupart de ceux qui ont l’habitude d’apprendre des langues
utilisent ce principe, chacun à sa manière. Pour clarifier,
on peut dire qu’il y a deux groupes d’associations possibles, les associations
de sens et les associations de sons.
a) Les associations de sens consistent à rechercher dans le
vocabulaire qu’on connaît déjà bien le maximum de synonymes,
ou presque synonymes, du mot qu’on veut apprendre. Prenons, par exemple,
‘to thwart’, ‘contrarier, ‘gêner’. On l’associera à ‘to
prevent’, ‘to annoy’, ‘to oppose’, ‘to bother’, ‘to irritate’, ‘to cross’,
‘to frustrate’…etc… Ce serait un peu artificiel de vouloir rassembler les
synonymes à l’intérieur d’une même phrase, puisqu’ils
devraient naturellement se retrouver au même endroit dans cette phrase.
Par contre, on peut utiliser les techniques de mélanges de mots décrites
ci-dessus pour associer ‘to thwart’ aux synonymes déjà connus,
en particulier à celui qui viendra en premier lieu à l’esprit
pour traduire ‘contrarier’. Ceci dépend de chacun.
b) Les associations de sons consistent à rechercher le maximum
d’homonymes, ou presque homonymes, au mot qu’on veut apprendre : reprenons
l’exemple de ‘to thwart’, ‘contrarier’ : on peut le rapprocher entre autres
de ‘wart’, ‘verrue’ et de ‘thirty’, ‘trente’, et l’on fera une phrase du
genre : ‘ Should you get thirty warts on your face, it would thwart you from
going on ride’, ‘Si vous aviez trente verrues sur le visage, ce serait contrariant’…
De manière générale, il est clair que le fait de construire
des phrases en intégrant des mots nouveaux est la première
méthode à laquelle on pense pour les intégrer dans le
vocabulaire actif.
7) La technique du ‘ père et de la mère’
Cette technique est surtout utile quand on commence à
apprendre une langue très différente du français et
qu’on se trouve en face de mots assez longs non-analysables en préfixe-racine-suffixe,
et qu’il faut donc retenir par un effort de mémoire pure. Ce cas est
assez rare en anglais, nous l’avons vu.
Prenons cependant par exemple ‘to jeopardize’ qui signifie
‘faire péricliter’. On cherche à diviser le mot en deux moitiés
et à rapprocher chacune d’entre elles d’un mot anglais déjà
connu. Les deux mots ainsi trouvés deviennent ‘père et mère’
du mot nouveau. Par exemple ‘jeo’ fait penser à ‘jewel’ (prononcé
‘jou-el’) et ‘pardize’ fait penser à ‘paradise’. On rassemble ensuite
la ‘petite famille’, père, mère et fils dans une phrase unique
qui a évidemment de fortes chances d’être absurde ou un peu
ésotérique : ‘He who seeks the jewel of Paradise will never
be jeopardized’ : ‘Celui qui cherche le joyau du Paradis ne périclitera
jamais’. Signalons en passant que lorsqu’on cherche des ‘pères et
mères’, il semble plus efficace de prendre des noms communs que des
noms propres. Supposons qu’il y ait eu un groupe de Rock n’ roll s’appelant
‘Jeopard’ et une poétesse irlandaise de la fin du XIX° siècle
nommée ‘Ize’ ; les associer ne serait pas si efficace pour retenir
‘jeopardize’. Cela a peut-être quelque chose à voir avec
le fait que, dans la dégradation pathologique de la mémoire
en début de démence sénile, ce sont les noms propres
qui sont oubliés en premier.
8) Comment mémoriser le genre des mots
C’est une question qui ne se pose guère pour l’anglais,
mais qui représente un gros travail de mémoire pour d’autres
langues. Juste à titre d’exemple, prenons le cas de l’hindi,
où il y a des genres masculins et féminins comme en français.
‘Manzil’ signifie ‘étage’, mais est au féminin contrairement
au français. Pour mémoriser cette différence de
genre, ce qui réussit le mieux dans mon expérience est de mémoriser
un synonyme, même éloigné, ‘d’étage’ qui soit
du féminin. ‘Niveau’, ‘plan’ sont du masculin et ne feront donc
pas l’affaire. Par contre ‘surface’ pourra être associé
à ‘manzil’ selon les techniques de mélanges de mots ci-dessus.
Ainsi, quand on pensera ‘étage’, il y aura à la fois ‘manzil’
et ‘surface’ qui reviendront en mémoire, et l’on saura que c’est
parce que ‘manzil’ est du féminin, contrairement à ‘étage’.
On peut s’aider également en trouvant, même à l’intérieur
du mot, une lettre qui soit un indicatif sûr du genre ; par exemple,
en hindi, le ‘i’ est un indicatif assez sûr du féminin.
Dans ‘manzil’, le ‘i’ n’est pas tout à fait à la fin du mot,
mais il est présent, et cela suffit à faire le lien mnémonique.
9) Elargissement du vocabulaire actif
Toutes les techniques ci-dessus peuvent être utilisées
pour l’élargissement du vocabulaire actif. Quand on commence
à parler une langue étrangère, on se constitue un vocabulaire
simple qu’on connaît bien, mais on a du mal à l’enrichir.
A cause de la rapidité nécessaire quand on parle, on choisit
constamment les mots qu’on connaît le mieux. Tout se passe comme
si le vocabulaire déjà actif agissait comme une ornière,
et qu’on ne puisse en sortir pour utiliser des synonymes plus précis
que pourtant on connaît dans le sens de la version. Il s’agit
d’un problème courant. On sait par exemple traduire ‘prendre’
par ‘take’ ; on voit un jour l’expression ‘I had to draw on my savings’ :
‘J’ai dû prendre sur mes économies’. Comment penser à
utiliser ‘to draw’ et non ‘to take’ dans ce contexte ? Il faut bien
sûr associer ‘prendre’ à ‘draw’ par la méthode
de l’arc-en-ciel, mais il n’est pas inutile de prendre le temps d’associer
directement ‘take’ à ‘draw’, par exemple selon la même technique
:
take
Take
*drake
draw
*drawke
draw
Le processus de mémoire ne sera donc plus une ornière,
mais une aide: on pensera ‘prendre’, et ‘take’ viendra immédiatement
selon le conditionnement ancien, puis ‘draw’ apparaîtra selon
le nouveau conditionnement, et sera disponible si le contexte le rend plus
souhaitable. Nous avons vu qu’il était utile d’associer un mot anglais
nouveau à ses synonymes déjà connus. Par contre,
il est inutile dans mon expérience d’essayer de retenir deux mots
nouveaux en les associant entre eux, qu’ils se ressemblent au point de vue
du son ou du sens. On risque trop, soit de les confondre, soit de les
oublier tous les deux… Mieux vaut que le mot nouveau soit associé
à un mot bien connu, que ce soit un synonyme anglais ou la traduction
française. Cela fait un point d’ancrage solide dans la mémoire.
Ces techniques de mélanges peuvent être utilisées non
seulement pour des mots séparés, mais aussi pour des
expressions qui sont alors considérées comme un tout.
Le premier pas est bien sûr de comprendre la nouvelle expression anglaise,
l’image qui est utilisée, etc… Les techniques de mélanges ne
sont là que pour accélérer le mécanisme d’association
immédiate particulièrement important pour l’intégration
au vocabulaire actif. On crée des expressions intermédiaires,
ce qui semble souvent encore plus étrange que pour les mots :
prendre froid *catch
froid
catch cold
*prendre cold
à tout prendre *à
tout all
all in all
*all in prendre
L’association est meilleure si l’on peut trouver la moindre lettre-charnière
:
solution de facilité *solution
de faç-out-té
easy way out
*eas-solution de way-cilité, etc…
Cela permet de se rapprocher petit à petit du niveau
des interprètes professionnels qui ne traduisent plus les mots mais
les expressions; ils ont appris, avec l’habitude, à les associer immédiatement
entre elles. Il est bien possible que ces phénomènes
de mélanges se fassent dans la période de rêve chaque
nuit ; cependant, comme il est inconscient, il peut donner lieu aussi bien
à des confusions qu’à une mémorisation exacte.
10) Place et fonction des lettres communes dans l’apprentissage du
vocabulaire
Ces techniques peuvent prendre, pour celui qui en a l’habitude,
une place importante dans l’apprentissage du vocabulaire ; en effet, elles
concernent les mécanismes fondamentaux de la mémorisation.
Le réflexe de rechercher des lettres communes pour faciliter les associations
mnémoniques en dehors même de tout lien étymologique
prouvé est clair dans le ‘Vocabulaire Indo-Européen’ de X.
Delamarre (4).
Il donne par exemple comme premier sens de la racine ‘swadus’
‘doux’, bien que ‘swadus’ soit relié étymologiquement à
‘suave’ et non pas à ‘doux’. Ou bien, autre exemple, il donne
comme premier sens de la racine ‘nigwtos’ ‘nettoyé’, bien que les
deux mots ne puissent être reliés étymologiquement.
Le rapprochement n’est qu’une aide à la mémoire, mais cette
aide à la mémoire n’est pas un luxe quand on se lance dans
la rédaction d’un lexique de l’Indo-Européen…
J’espère que les quelques techniques décrites
ci-dessus aideront le lecteur. Sans doute se sera-t-il aperçu
qu’il avait déjà ses méthodes à lui, et qu’elles
ont peut-être quelques points communs avec les procédés
que j’ai décrits. Les différentes approches peuvent être
combinées pour obtenir une plus grande efficacité. Comme
toutes les méthodes quand elles sont présentées de manière
systématique point par point, les ‘mélanges de mots’ peuvent
paraître compliqués ou bizarres au lecteur qui n’y a pas plus
ou moins déjà pensé par lui-même. Cependant,
je maintiens que le grand intérêt de ces techniques, c’est qu’elles
sont simples et souples. Après quelques semaines de pratique,
on peut apprendre les mots en quelques secondes ou quelques dizaines de secondes
au fur et à mesure de leur apparition dans un texte ; cela dépend
bien sûr de leur degré de similarité. Depuis que
j’emploie assez systématiquement ces procédés de mélanges
de mots, il est rare que j’aie à apprendre deux fois le même
mot, ce qui m’arrivait assez souvent auparavant. Les mélanges
de mots sont des recettes pour accélérer l’apprentissage du
vocabulaire : ils ne remplacent ni la motivation pour apprendre une langue,
ni les exercices de grammaire, ni le temps consacré à la pratique
: en un mot, ils ne dispensent pas de travailler…J’ai un ami qui parle neuf
langues : à son avis, le meilleur moyen d’apprendre est de commencer
à faire un stage intensif pour acquérir les structures grammaticales
et le vocabulaire de base. Après seulement, on peut apprendre
progressivement en parlant, écoutant ou lisant un petit peu chaque
jour.
III) LES ‘MELANGES DE MOTS’ EN
PSYCHOLOGIE, EN HISTOIRE ET EN POESIE
Il n’est pas inutile de faire part de quelques réflexions de psychologie
après avoir traité la partie technique de cet article.
Je me suis demandé pourquoi je n’avais pas pensé plus tôt
à ces procédés au fond simples et efficaces de mélanges
de mots, et pourquoi on en parle aussi peu dans les ouvrages sur la mémoire
et sur l’enseignement des langues : il me semble qu’il y a une résistance
psychologique, une peur de faire des mots qui n’existent pas. Les nourrissons,
avant la phase de langage proprement dite, s’amusent à faire des mots
qui n’existent pas. Après, toute l’éducation du langage
consiste à leur faire utiliser des ‘mots qui existent’. S’ils
ne sont pas directement réprimandés en utilisant leurs propres
mots, ils se sentiront au minimum isolés ou rejetés par le
fait qu’on ne les comprenne pas. De plus, la création de mots
nouveaux évoque dans l’inconscient des états psychologiques
extrêmes. Ne dit-on pas ‘bafouiller de colère’ ?
Le bégaiement n’est-il pas augmenté s’il y a une agitation
émotionnelle ? Les schizophrènes graves, bien qu’ayant un cerveau
neurologiquement sain, ont un langage incompréhensible qu’on appelle
‘jargonophasie’ ou ‘schizophasie’. Ils ont des états émotionnels
tellement violents que leur langage se déstructure et devient un jargon.
Par exemple, un schizophrène pourra traiter un infirmier qui veut
l’obliger à sortir de son lit pour aller déjeuner ‘d’idiocile’,
mélange ‘d’idiot’ et ‘d’imbécile’.
A l’autre extrême de la gamme émotionnelle, les chrétiens
membres de groupes charismatiques saisis par des sentiments de louange ou
d’action de grâces se mettent à ‘parler en langue’ pour quelques
temps. On entend sortir de leur bouche un flot de syllabes assez mélodieux
que certains autres participants qui sont dans le même état
peuvent parfois interpréter. Bien que les littéraires
soient des spécialistes du langage, ils n’osent que rarement faire
‘exploser’ ce dernier. Il fallait avoir la vitalité d’un Rabelais,
alliée à une bonne connaissance du latin, du grec et sans doute
des dialectes français de l’époque pour pouvoir former à
profusion des mots nouveaux. L’impression qu’il cherche à transmettre
au lecteur est celle de richesse intellectuelle et de comique tout à
la fois. Les auteurs qui l’ont suivi ont été plus ‘sérieux’,
plus ‘secondaires’ dirait-on en langage psychologique. Même Victor
Hugo, qui déclarait vouloir mettre ‘un bonnet rouge’ au dictionnaire
ne s’est pas trop risqué à forger des mots nouveaux, si ce
n’est des noms propres. Son ‘bonnet rouge’ est devenu avec le temps
un bonnet de nuit bien bourgeois…Il s’est risqué une fois, à
la fin de ‘Booz endormi’ à dire : ‘Tout reposait dans Ur et
dans ‘Jérimadeth’, car effectivement, il y
avait une rime à ‘-dait’ qui devait annoncer ‘…et Ruth se demandait…’
Actuellement, certains adolescents utilisent le ‘vers-l’en’, le langage à
l’envers ; c’est évidemment lié à un désir de
manifester une révolte, une non possibilité de communiquer
ce qu’ils vivent au reste de la société. En tenant compte
de tous ces éléments, on comprend mieux qu’il y ait une certaine
résistance psychologique à faire des ‘mélanges de mots’.
Il peut y avoir par exemple la peur de retenir les mots intermédiaires
qui n’existent pas plutôt que le mot final en anglais. Je dois
dire que cela ne m’est pratiquement jamais arrivé. En Inde,
les gens aimaient découper les mots pour faire ce qu’on pourrait appeler
des ‘étymologies populaires’. Cela permet d’associer directement
au mot sur lequel on réfléchit d’autres notions que l’on veut
y mettre, en prenant comme prétexte une syllabe commune. Les
auteurs médiévaux d’Occident utilisaient aussi ce procédé.
S’il a perduré en Inde, c’est peut-être dû à l’influence
du sanskrit, langue qu’on ne peut comprendre qu’en découpant les mots
composés, souvent assez longs, en parties signifiantes. Le procédé
indien des ‘étymologies populaires’ ne fait que continuer cette analyse,
simplement en la poussant un peu plus loin et en se servant d’associations
plus libres, par exemple en prenant le prétexte d’une syllabe commune.
Les techniques de mélanges de mots semblent purement auditives ; qu’en
est-il pour ceux qui ont une ‘mémoire visuelle’ ? Pour répondre
à cette question, il faut déjà dire que le langage est
avant tout du domaine auditif, si on prend ‘langage’ dans son sens ordinaire.
C’est une donnée de départ, il faut faire avec. Des moyens
qui maintiennent l’esprit dans la sphère de l’auditif sont plus légers,
et plus directs, que des méthodes qui font faire constamment des va-et-vient
de la sphère auditive à la sphère visuelle. De
plus, rien n’empêche, surtout au début, d’utiliser aussi les
mélanges de mots, de manière visuelle, c'est-à-dire
en écrivant les mots intermédiaires entre le mot de départ
et le mot d’arrivée. Quand on s’observe, on s’aperçoit
que ‘penser dans une langue’ reste en fait très longtemps la faculté
de traduire rapidement du français dans cette langue ; à l’inverse,
ceux qui peuvent ‘penser dans une langue’ seront capables de traduire rapidement
en français ce qu’ils disent dans cette langue, même si la traduction
n’est pas complètement précise. On ne peut guère se
passer de cette phase d’association rapide pour laquelle les ‘mélanges
de mots’ sont utiles.
En dehors de l’apprentissage des langues proprement dit, les mélanges
de mots peuvent être employés pour la mémorisation de
textes, par exemple de la poésie. J’ai toujours aimé
apprendre des textes poétiques par cœur, d’abord en français,
puis en latin et maintenant en sanskrit. Souvent, on retient assez
facilement un demi-vers, un vers ou une strophe, mais on a un problème
pour reprendre la suite du texte. Quand on n’a pas de ‘souffleur’ à
sa disposition pour ‘relancer la mécanique’, comment faire ?
On peut tout simplement mélanger certains mots. Prenons par
exemple, pour rester dans les grands textes, l’avant-dernière strophe
du ‘Booz endormi’, dont nous citions le début ci-dessus :
Tout reposait dans Ur et dans Jérimadeth
Les astres émaillaient le ciel profond et sombre
Le croissant fin et clair parmi ces fleurs de l’ombre
Brillait à l’Occident, et Ruth se demandait…
Il s’agit d’inclure le mot de début d’un vers dans la seconde moitié
du vers précédent, en prenant comme lettre charnière
une lettre, ou une syllabe commune. Avant de montrer en pratique ce
que cela peut donner, je commence par demander pardon intérieurement
à Victor Hugo pour les tortures étranges que je vais faire
subir à son texte : heureusement, cela ne durera pas…
Tout reposait dans Ur et dans *Jer-astre-adeth’
Les astres émaillaient le ciel *proissant’ et sombre
Le croissant fin et clair, parmi ces fleurs de *l’ombrill’…
*Br-Ruth-llait’ à l’Occident, et Ruth se demandait…
Entre le troisième et le quatrième vers, Hugo nous a donné
un lien immédiat ‘ombre-brillait’. J’ai ‘inclus’ ‘Ruth’ dans
‘brillait’, car la strophe se finit, d’après son sens logique,
après ‘à l’Occident’ ; on peut donc facilement prévoir
un éventuel ‘trou’ de mémoire avant de reprendre ‘et Ruth se
demandait’.
De manière générale au cours des études, on retombe
souvent sur un type particulier de problème de mémoire.
Il y a disons huit points-clés à retenir pour une question
d’examen : on se souvient immédiatement d’un ou deux, on trouve en
recherchant quatre ou cinq autres, et il y en a un ou deux dont on n’arrive
jamais à se souvenir. Là encore, les mélanges
de mots peuvent aider : il s’agit de résumer les points-clés
en formules-clés, les formules-clés en mots-clés, et
d’associer par mélange les quelques mots-clés qu’on oublie
toujours à ceux qu’on retient toujours. J’avoue que j’ai développé
les méthodes de mélanges de mots surtout pour perfectionner
mon anglais et pour apprendre l’hindi et le sanskrit. J’avais déjà
passé mes diplômes, et je n’ai donc guère eu besoin d’utiliser
ces procédés pour mémoriser les mots-clés de
questions ‘tombales à l’examen’. Cependant, rétrospectivement,
je me dis que ces techniques m’auraient été bien utiles pour
mes études de médecine. Pour beaucoup de matières,
les examinateurs qui corrigent une copie attendent d’y voir un certain nombre
de mots-clés, d’où l’utilité d’apprendre par association
de mots-clés. Malheureusement, tout ceci ne dispense pas de
travailler un petit peu quand même…
J’espère que ces réflexions et idées pour développer
en particulier la mémoire des langues aideront les étudiants
à tenir leur place dans l’Europe unie. Les gouvernements peuvent
abattre les frontières douanières, mais il n’y a que les individus
qui puissent abattre les frontières linguistiques en apprenant les
langues des pays voisins ; cela ne se fait pas du jour au lendemain.
Je souhaite au lecteur de développer sa propre expérience des
procédés décrits ci-dessus ; qu’il apprenne en se jouant
à mélanger les mots comme le peintre ses couleurs, ou le parfumeur
ses essences…
La langue n’est qu’un instrument. Si on trouve des moyens de l’apprendre
rapidement, cela permet de consacrer le temps gagné à autre
chose. Certes, on parle à juste titre de l’art de la mémoire,
que chacun développe à sa façon dans la mesure où
il veut réussir dans ses études ou dans sa profession ; mais
je voudrais également mentionner l’existence d’un ‘art de l’oubli’
: en tant que thérapeute du psychisme, je me suis rendu compte que
cet art était des plus utiles dans l’évolution affective et
intérieure des individus. Qui n’a pas été handicapé,
à un moment ou à un autre de son existence, par le souvenir
d’un passé qui n’était plus ? Qui ne s’est pas laissé
prendre par les reflets des nuages du souvenir sur le lac de l’esprit ?
Pour nous qui ne sommes pas Proust, combien de temps perdu à la recherche
du temps perdu !...
Au fond, la mémoire habituelle a quelque chose de frénétique
: elle cherche à accumuler le plus vite possible le plus de connaissances
possibles. Elle veut posséder, et se débat indéfiniment
dans le champ clos des acquisitions, c’est une mémoire de l’avoir.
Il est cependant une autre mémoire, mémoire pacifique, mémoire
antique s’il en est. Elle est en même temps constant rappel du
présent. A ce propos, Platon parlait à juste titre de
la réminiscence, qu’elle soit du Beau, du Bien ou du Vrai. C’est
le souvenir de notre nature authentique, c’est la mémoire de l’Etre.
Dr Jacques VIGNE
Hardwar-Bénarès, Août 1991.
NOTES
1) ‘La Suggestopédie’ R. Laffont
2) ‘L’Art de la Mémoire’ Gallimard,
coll NRF
3) ‘Relaxation Thérapeutique’ ouvrage collectif,
Masson, coll ‘Abrégés’
4) ‘Le Vocabulaire Indo-Européen’ Lexique
étymologique et thématique, Librairie d’Amérique
et d’Orient, Adrien Maisonneuve, Paris, 1984,
p.235 et 230.
SUPPLEMENT
A) QUELQUES EXEMPLES PRATIQUES
DES PROCEDES DE ‘MELANGES DE MOTS’
Il y a en général plusieurs manières
de mélanger les mots pour les associer dans la mémoire, il
y a plusieurs chemins pour aller de l’un à l’autre. Ces chemins
ne s’excluent pas mutuellement, au contraire, plus on en trouve, plus on
a de chances de se souvenir de l’association entre un mot et sa traduction.
Répétons-le, la méthode ne consiste pas à mémoriser
les mots intermédiaires, mais le simple fait de les rechercher et
de les trouver aide à mémoriser les mots de départ.
En les construisant et en les répétant rapidement plusieurs
fois, on s’habitue à manipuler activement les différentes parties
des mots à associer dans un ordre différent à chaque
fois, ce qui maintient l’attention éveillée ; ce ‘jeu de lego’
à partir de syllabes ou de lettres facilite l’apprentissage.
1) Exemples de base
-‘Trapu’ se dit ‘stabby’. On peut passer de l’un à l’autre par le
chemin suivant :
trapu
*tapu
*stapu
*stabbu
stabby
-‘Docilement’ se dit ‘doggedly’ ; malgré le ‘do’ initial commun, le
mélange suivant ne sera pas inutile pour confirmer l’association :
docilement
*doggilement
*doggedment
doggedly
2) Synonymes
-‘To swarm’ signifie ‘pulluler’, mais le mot ‘fourmiller’ donnera plus facilement
lieu à un mélange :
fourmiller
*swourmiller
*swarmiller
swarm
3) Condensations
-‘To berate’ signifie ‘gronder’, « réprimander » en anglais
littéraire. On condense la première syllabe ‘ber’ de
‘berate’ en ‘br’ :
berate
*brate
*grate
*gront
gronder
-‘Pilferage’ signifie ‘larcin’ :
pilferage
*pilerage
*pilarge
*pilarcin
larcin
-‘Cast’ signifie ‘trempe’ dans l’expression ‘a man of his cast’ ; on condense
‘cast’ pour l’associer à ‘trempe’ sans changer le rythme syllabique
de ce dernier on fait donc : ‘a man of his *cstrempe’…
4) Inversions
On met la dyslexie qu’il y a en germe chez chacun au service de la mémoire
:
-‘Farce’ peut se dire ‘prank’ ; on invertit le ‘a’ et le ‘r’ :
farce
*frace
*prace
prank
-‘Marmaille’ se dit ‘brood’ :
marmaille
*mramaille
*bramaille
*broodaille
brood
-‘Strapontin’ se dit ‘tip-up seat’ :
strapontin
*seatpontin
*seat tipon
*seat tip-up
tip-up seat
5) Mots composés
On peut mélanger les mots composés ou expressions toutes faites
au même titre que les mots simples : ‘pierre d’achoppement’ se dit
‘stumbling block’. L’association la plus délicate sera entre
‘achoppement’ et ‘stumbling’ : on peut créer les mots intermédiaires
: ‘pierre d’*astoppement’ et ‘pierre d’*astumblement’ en se fondant sur la
similarité du ‘-pp’ et du ‘b’.
-‘To skip off’ est une expression familière signifiant ‘s’enfuir’.
Ceux qui savent un peu d’anglais auront tendance à dire a priori ‘to
run away’. On peut donc associer les deux déjà par un
croisement simple : *to skip away’ et *to run off’ ; on peut ensuite
compléter par la technique de l’arc-en-ciel : *to rip away’ ;
*to skip away’ ; *to skip off’.
-‘Nay’ signifie ‘qui plus est’, ‘voir même’ ; il est un peu trop
long d’essayer d’imaginer une phrase où ‘nay’ peut être inclus
; on peut inclure directement ‘nay’ dans ses traductions françaises
par exemple de la façon suivante : *qui plus nay’ et *voire
nay’.
6) Mélanges de mots spontanés
Chaque langue fait ses mélanges de mots spontanés qu’on sent
bien quand on en a une certaine habitude : si l’on connaît le sens
de ‘to snap’ ‘briser’, ‘to snatch’ ‘saisir vivement’, ‘to
snip’ ‘entailler légèrement’, on ne s’étonnera
pas trop du sens de ‘to snick’ ‘tailler d’un coup de ciseau’.
-‘Se sentir fébrile’ pourrait se traduire par ‘to feel feverish’,
mais les anglais diront volontiers ‘to feel shivery’ (‘se sentir tremblant’).
Pour se souvenir de cela, on peut mélanger ‘feverish’ et ‘shivery’
en faisant une boucle :*feverish-shivery-feverish-sh…’
- Dans l’expression familière ‘to hog the road’ signifiant ‘tenir
la route’ en parlant d’une voiture, on pourra faire un rapprochement bien
sûr avec un sens de ‘to hog’ qui signifie ‘s’arquer’, mais on pourra
penser également au mélanges de mots possibles avec ‘to hold
the road’ et ‘to hug (embrasser) the road’… Cela aidera la mémorisation.
- De même, pour apprendre l’expression ‘a callow youth’
‘un jeune inexpérimenté’, ‘un novice’, on pourra associer cela
à l’idée de ‘a shallow calf’ ‘un veau superficiel’…etc…
7) Mélanges d’expressions
On peut mélanger les expressions à la manière des mots,
en prenant toujours autant
que possible les lettres ou syllabes similaires :
- ‘To be on the right tack’ signifie ‘être
sur la bonne voie’. Ici, il suffit de mélanger ‘voie’ et ‘tack’,
par exemple : ‘to be on the right *toie’. Comme on sait en général
traduire ‘voie’ par ‘way’, on peut faire un second mélange : ‘to be
on the right *wack/*tay’. Il y a sans doute un ‘mélange spontané’
entre ‘tack’ et ‘track’.
- ‘Embêtant comme la pluie’ se dit ‘as
dull as ditchwater’. L’association entre ‘embêtant’
et ‘dull’ est plus aisée qu’entre ‘pluie’ et
‘ditchwater’. Ce sera donc sur ces deux derniers termes qu’il faudra
insister, en faisant par exemple : ‘as dull as pluitchwater’…
- ‘Avoir la langue bien pendue’ se dit ‘to
have a glib tongue’. L’association à renforcer sera entre ‘pendue’
et ‘glib’. On pourra faire par exemple : ‘avoir la langue bien
‘glandue’…
- Dans certains cas, un mot traduit une expression.
Pour retenir que ‘fiddle’ signifie ‘jouer du violon’, on peut créer
l’expression intermédiaire : ‘jouer du *fiddlon’ en jouant sur
la similarité du ‘fi-‘ et du ‘vi-‘.
8) Calembours
- On peut rassembler ainsi différents sens de ‘scrap’
et de ‘scrape’ en faisant une phrase qui n’a guère d’intérêt,
si ce n’est mnémonique. Il ne s’agit pas de s’en souvenir à
long terme, mais seulement de la construire et de la répéter
un petit nombre de fois : ‘I put the scraps into a scrap paper and I scrapped
them along with the scrap iron, but this created a scrap with my wife
and I got into a scrape…’ (‘J’ai mis les restes du repas dans un papier brouillon
et je les ai mis au rebut avec la ferraille, mais cela a provoqué
une querelle avec ma femme et m’a mis dans le pétrin…’).
- Donnons un second et dernier exemple de phrase du style :
‘Un chasseur sachant chasser sans son chien…’ : ‘I grubbed out the grubby
grub who was grubbing about in the grave, but it did not bear me any
grumpy grumble afterwards’. (‘J’ai extirpé le sale asticot qui farfouillait
dans la tombe, mais après, il n’a pas manifesté
à mon égard de rancœur renfrognée…’).
B) RESUME DE QUELQUES TECHNIQUES
COURANTES
Nous avons donné dans cet article une idée assez détaillée
des manières de passer
progressivement d’un mot à l’autre en exploitant les moindres similarités
qui deviennent autant de points d’ancrage de la mémoire. Cependant,
toutes les techniques n’ont pas besoin d’être utilisées pour
associer deux mots donnés. Il peut être intéressant,
à la fin de cet article, de résumer des techniques qui s’avèrent
être courantes et suffisent souvent à créer ou à
renforcer une association entre deux mots.
1) La méthode d’inclusion associée à celle
de l’arc-en-ciel
-‘ Pulsation’ se dit ‘throb’, on peut faire la transformation suivante :
pulsation
*thrulsation
*throlsation
*throbsation
throb
-‘ Tressaillement’ se dit ‘thrill’ :
tressaillement
*thressaillement
*thrissaillement
*thrillaillement
thrill
2) Croisements de mots longs sur une ‘charnière’
a) Lorsqu’il y a une seule lettre commune entre deux mots, ça
sert de charnière :
mosaïque *mos selation
certificate
*certimonial
tessellation *tes saïque
testimonial
*testi ficate
indifférence *lis différence
thunderbolt
*thun de foudre
listlessness *in thlessness
coup de foudre *coup derbolt
b) Lorsqu’il y a une structure préfixe-thème
ou thème-suffixe analogue, on se sert de cette séparation
sémantique comme charnière :
nuisible *nuiful
explosion (émotionnelle)
*ex burst
harmful *harmsible
outburst
*out plosion
Une fois que le lecteur a assimilé les règles
de départ, créer de nouvelles associations entre les mots devient
pour lui un jeu, et il peut alors rapidement développer son intuition
mnémonique pour trouver le meilleur chemin de transformation d’un
mot à l’autre.
C) COMMENT APPRENDRE UN VOCABULAIRE DIFFICILE :L’EXEMPLE TIBETAIN
Le tibétain a un vocabulaire difficile car les mots sont non seulement
complètement différents, mais comportent des prononciations
inhabituelles et se ressemblent souvent étrangement. Il ne semble
y avoir aucune prise pour la mémoire. J’ai résumé
ici les méthodes qui m’ont paru les plus utiles pour mémoriser
du vocabulaire en tibétain, en prenant comme critère la présence
ou l’absence de lettres communes ou similaires, liquides, nasales, mais aussi
sourdes ou sonores.
1) Présence de lettres communes ou similaires
10) Présence de plusieurs lettres
100) Présence de plusieurs lettres dans le même ordre
1000) Techniques de condensation
-‘Mental wandering’ se dit ‘l’phro ba’
Les lettres
similaires ont été notées (dans l’ordre) par :
‘l’, ‘w/ph’, ‘r’. Pour passer du mot anglais au mot tibétain, on peut
suivre le chemin suivant :
Mental wandering
*l’wandering
*l’phandering
*l’phring
*l’phro
l’phro ba , avec la terminaison nominale habituelle ‘ba’. La
partie ‘ande’ qui était en trop a été effacée
par condensation.
- ‘Obscuration’ se dit ‘sgrib’
obscuration
*scuration
*sguration
*sgration
*sgrition
sgrib
1001) Technique de dilatation
- ‘Impur’ se dit ‘ma dag pa’i
‘ ( les lettres ‘m’ et ‘p’ sont similaires) :
Impur
*Im ma dag pur
ma dag pa’i
101) Présence de plusieurs lettres dans un ordre différent
Il faut procéder
à des inversions qui, si elles ne sont pas faites consciemment au
moment de l’apprentissage, ne se feront peut-être pas au moment de
la récitation et donneront lieu à des erreurs de mémoire.
- ‘Secret’ se dit ‘gsang’ (‘s’
et ‘c/g’ sont similaires) :
secret
*cseret
*gseret
gsang
- ‘Gross’ se dit ‘rgas’ (‘r’ et ‘g’ doivent
être inversés)
gross
*rgoss
*rgass
rgas
- ‘Destruction’ se dit ‘zhig’
destruction
* struction
*
tsruction
*
sruction
* zruction
* zhuction
*
zhiction
*
zhigtion
zhig
- ‘Yoga’ se dit ‘rnal byor’ (on inverse les syllabes)
yoga
*gayo
*rna
byo
rnal byor
Le point d’ancrage
mnémonique est ici ‘o’ et ‘a’
11 ) Mots qui ont une seule lettre commune ou similaire
Il s’agit d’un cas assez fréquent, qui semble offrir
peu de prise pour la mémoire. On peut cependant utiliser les
méthodes suivantes :
110) Croisement sur la lettre charnière
- ‘Sutra’ se dit ‘mdo’
sutra *sudo
mdo *mtra
111) Inclusion construite à partir de la lettre similaire
- ‘Transférence’ se dit ‘pho
ba’
transférence
*transphérence
*transpho bence
*transpho bace
pho ba
- ‘Tranquille’ se dit ‘zhi’
tranquille
*tranzhille
zhi
- ‘Needing’ se dit ‘slob’
needing
*neebing
*nobing
*lobing
*slobing
slob
2) Mots qui n’ont aucune lettre commune ou similaire
Ce sont les mots qui seront spontanément les plus
difficiles à mémoriser. On peut cependant utiliser les
procédés suivants :
20) Synonymes dans la langue de départ
‘Enjoyment’ se dit ‘longs’. Il est utile de rapprocher,
après un peu de réflexion, ‘enjoyment’ de ‘longing’ (aspiration),
dont le sens, bien que non équivalent, n’est pas trop éloigné
‘d’enjoyment’.
Le passage au synonyme permet aussi d’augmenter le nombre
de lettres communes. Plutôt qu’associer le tibétain ‘nges’
à ‘renoncement’, ce qui est sa traduction exacte, on peu l’associer
à ‘négation’, ce qui permet d’avoir le ‘e’ et le ‘g’ comme
lettres communes en plus.
Plutôt qu’associer le tibétain ‘bde ba’ à
l’anglais ‘bliss’, on peut l’associer à ‘béatitude’ qui a plus
de lettres similaires.
21) Technique de l’arc-en-ciel
Elle est fort utile pour associer des mots courts qui n’ont rien en commun
Truth
form
wheel
*chuth *trus *gzorm
*fors *kheel
*wheer
*choth *tros *gzurm
*fogs *khol
*whor
chos
*gzugm *fugs
khor
gzugs
22) L’inclusion-balayage
Elle est moins effective, mais peut être employée
pour associer un mot court à un mot long ; ‘sa’ en tibétain
peut signifier ‘territoire’. On crée les intermédiaires
suivants :
*sa-ritoire’, *ter-sa-toire’, *terri-sa’.
3) L’association par famille de sens
ou de sons
Cette technique est fort utile quand on apprend beaucoup
de mots en même temps, pour ne pas les confondre les uns avec les autres,
ou avec ceux qu’on a appris précédemment.
30) Famille de sons
On regroupe les presqu’homonymes en tibétain dans
une phrase qui permet de les associer en les différenciant. La phrase
n’aura guère de sens, là n’est pas la question. Par exemple
: ‘Après la prise (dzin) du pays (zhing) est survenue sa destruction
(zhig)’
31) Famille de sens
On rapproche les synonymes entre eux, ou les contraires.
Par exemple, on rapproche ‘dga ba’ (joie) de ‘bde ba’ (félicité).
Ce principe des familles n’est pas original, on le retrouve dans la plupart
des méthodes de langues. On peut cependant se servir des techniques
ci-dessus pour associer les synonymes tibétains entre eux ; par exemple
en faisant un passage progressif de ‘dga’ à ‘bde’
par l’intermédiaire de *gda (inversion) et *bda.
Ce genre d’association ne doit pas être fait entre deux mots qu’on
est en train d’apprendre, car il y aurait risque de confusion. Un des
deux mots doit déjà être bien connu