MAITRE ET DISCIPLE DANS LE

CHRISTIANISME

 Tradition institutionnelle et transmission directe


De l'or et de l'argent je n'en ai pas, mais ce que j'ai je te le donne

(Saint Pierre guérissant l'infirme à la porte du Temple: Ac 3,6)
 
 

Jacques Vigne, Kankhal, Hardwar, UP, Inde, 1991, révision 1998
 
 

Le maître spirituel dans chaque tradition est une figure importante, il est responsable de la transmission de la Connaissance dans son acception la plus haute. Le texte qui suit complète la seconde partie de mon livre 'Elements de psychologie spirituelle' consacrée aussi à la relation entre transmission institutionnelle et spirituelle dans le christianisme principalement. (Albin Michel, Spiritualités vivantes, 1993). Il aurait aussi pu être intégré dans mon premier livre 'Le Maître et le thérapeute' (même collection, 1991) qui parle de la relation maître disciple en Inde. Avec mes deux études sur christianisme, védanta et Yoga parues dans le Question de 'Marcher, méditer' (réédition prévue en 1998 dans 'Espaces libres', Albin Michel), il donne une idée assez complète du rapport entre hindouisme et christianisme tel que je le comprends, avec une attention particulière portée à l'expérience mystique. Du point de vue pratique, les notes de ce texte sont en fin de volume, on n'y trouvera rien d'autre que les références des livres cités.

Il y a des niveaux trés différents de ce que les gens attendent de la psychologie, et même de la religion: souvent, il ne s'agit que de quelques recettes pour moins se disputer en couple ou d'une base de moralité pour stabiliser autant que possible le contrat familial. On se met d'accord sur une croyance commune pour donner un fondement aux règles du jeu relationnel, et on ne va guère chercher au-delà. C'est un état de fait, tout le monde n'est pas mystique. La fréquentation d'un maître spirituel peut être utile à chacun, mais elle est particulièrment importante pour ceux qui décident de consacrer plus de temps à la vie intérieure. Le maître spirituel, encore plus que le philosophe antique, connaît l'Art des arts et la science des sciences: guider d'autres personnes dans la découverte d'eux-même. A chaque génération, il incarne le but des Livres sacrés; on dit parfois dans le christianisme qu'il est le cinquième Evangile. Il est la fleur de la tradition, mais sa beauté n'a d'égal que sa rareté. On ne trouve pas d'orchidées poussant dans n'importe quelle prairie, on ne trouve pas de lion se déplaçant en troupeau. Certes, il n'est pas besoin d'être maître pour donner quelques bon conseils spirituels inspirés de sa propre expérience; mais cela ne signifie pas qu'on ait la possibilité de prendcre en charge les gens à long terme. Un Père du désert disait:'Quand on a une maison en ruine, mieux vaut ne pas y recevoir d'hôtes de peur qu'elle ne tombe sur eux'. La rencontre d'un maître spirituel compétent est un pas décisif dans l'itinéraire d'un aspirant décidé.

Dans un premier temps, il aura pu expérimenter un certain soulagement, une certaine gratification à exprimer son vécu au sein d'une communauté. Il aura pu trouver une chaleur familiale qui manque à tant d'Occidentaux de nos jours. C'est un stade de départ, celui de la transparence émotionnele qui n 'est pas dépourvue de qualités thérapeutiques. Le second stade est celui de la transparence spirituelle, plus subtile, plus transparente je dirais. Elle n'est possible qu'avec un maître qui, seul, est suffisamment dépourvu d'égo pour être témoin de la transparence complète d'un autre sans chercher à l'exploiter.

Si le maître spirituel a moins de facilité à s'panouir dans le christianisme que dans l'hindouisme, c'est peut-être parce qu'il est soupçonné d'être un rival par la hiérarchie ecclésiastique. Il fut un temps où le peuple pouvait choisir ses évêques, comme dans le cas de saint Ambroise de Milan, ou désigner spontanément ses saints. C'est à propos de ce libre choix dans le culte des saints que l'on avait coutume de dire: 'Vox populi, vox Dei'. En principe, l'opposition entre les deux pouvoirs n'est pas irréductible. En pratique, les choses n'ont pas été, et ne sont toujours pas si simples. Nous le verrons au cours de cette étude. Dans l'hindouisme, l'absence de hiérachie centralisée concentre toute la responsabilité sur le guru. Je demandai un jour à un disciple de Ma Anandamayi, un ex-doocteur en biochimie indien dans l'ermitage duquel j'habite de temps à autre en Himalaya:'Quelle est votre religion?' 'Je ne sais pas' me répondit-il. Si je devais dire quelque chose, je dirais 'La religion de mon guru'.' Il est bon de ne pas repousser l'idée de maître spirituel sous prétexte qu'on n'en a pas trouvé, ni même cherché. Qui peut prétendre être arrivé au terme de son itinéraire intérieur? Bien que les maîtres spirituels au sens plein du terme soient rares, c'est déjà beaucoup de savoir qu'ils peuvent exister, et de s'être demandé ce qu'ils peuvent nous apporter. De plus, on dit non sans sagesse que ce ne sont pas les vrais maîtres, mais les vrais disciples qui manquent...
 
 

Jésus, disciple et maître spirituel

Dans un milieu traditionnel, tout maître commence d'abord par être disciple. Jésus ne semble pas avoir fait exception à cette règle. Il a dès le début reçu le baptême de Jean, puis dans un second temps est devenu son émule. Ceci n'a pas manqué de provoquer des remous; les disciples de Jean dirent à celui-ci: 'Rabbi, celui qui était avec toi de l'autre côté du Jourdain, celui auquel tu as rendu témoignange, voilà que lui aussi baptise et que tous vont vers lui.' (Jn 3,26) Le fait que Jésus ait demandé le baptême de Jean n'a pas manqué de troubler les disciples de Jésus. Mathieu s'est obligé senti de le justifier ainsi: 'Jean détourna Jésus du baptême en disant "c'est moi qui ait besoin d'être baptisé par toi, et c'est toi qui vient à moi!" mais Jésus lui répond: "Laisse faire pour l'instant, car c'est ainsi qu'il nous convient d'accomplir toute justice." Alors il le laissa faire'. (Mt 3, 14-15)

Il s'agissait d'une initiation. La déclaration de Jean-Baptiste 'Je ne suis pas digne de dénouer la courroie de ses sandales' (Mc 1,7) ne change rien à ce fait. En Inde lors des initiations monastiques, c'est la coutume que le gourou se prosterne devant le disciple pour manifester leur unité à un niveau supérieur. Les Evangiles mettent souvent en parallèle Jésus et Jean, en particulier l'Evangile de l'enfance dans Luc. Le problème le plus épineux pour les premiers chrétiens était que les disciples de Jean croyaient aussi que celui-cv était le Messie, le Fils de Dieu...Ils formaient le groupe des Baptistes, dont sont probablement venus les premiers disciples de Jésus (4). Le Prologue de Jean prend bien soin de préciser que Jean-Baptiste n'était pas la lumière, qu'il était une voix (phonê) dans le désert en l'opposant au Christ, vraie Lumière et seule Parole (Logos).

Jésus, disciple honnête, n'hésite pas à reconnaître sa dette envers Jean qui l'a initié, tout en prenant ses distances viv-à-vis de lui et en faisant allusion au climat de conflit dans lequel a commencé sa propre prédication: 'Parmi les enfants des femmes, il n'en est pas surgi de plus grand que Jean le Baptiste; et cependant, le plus petit dans le Royaume des cieux est plus grand que lui. Depuis les jours de Jean le Baptiste jusqu'à maintenant, le Royaume des Cieux souffre violence et des violents s'en emparent.' (Mt 11, 11-12). Nous avons dit dans l'introduction que la relation de maître à disciple n'était pas si simple en pratique. Nous en avons des exemples non seulement dès le début de la prédication des apôtres, mais même dès le début de la mission du Christ, et aussi à la fin de celle-ci avec le reniement de Pierre et la trahison de Judas.

Pour les disciples qui ont connu Jésus personnellement (Mathie,Jean), il est avant tout 'rabbouni' 'notre maître'. Pour ceux qui ne l'ont pas connu (Paul, Luc), il devient 'kurios', 'Seigneur', il est divinisé. Lorsque Saint Jean dit dans son Prologue 'nous avons vu sa gloire', il avait dans son esprit, disent les exégètes, le mot hébreu 'kabod' signifiant également 'poids'. On retrouve de même dans le mot sanskrit 'gourou' la notion de poids (même racine que le français 'gravité'). La présence de Jésus, du maître spirituel pèse dans la destinées des disciples. Le Christ invite à estimer à leur juste valeur ses envoyés qui ont fonction de maître spirituels: 'Qui vous accueille m'accueille et accueille Celui qui m'a envoyé. Qui accueille un prophète en tant que prophète recevra une récompense de prophète, et qui accueille un juste en tant que juste recevra une récompense de juste.' (Mt 10, 41-42) En d'autres termes, plus on a d'estime pour son maître spirituel, plus on recevra de lui, ou de Dieu qui est en lui.

Sachant cela, on peut mieux comprendre cette autre parole: 'Ne vous faites pas appeler 'rabbi', car un seul est votre maître, et vous êtes tous frères' (Mt 23, 9). Jésus veut dire par là que le Maître ne doit pas s'enorgueillir de sa fonction comme les pharisiens le font, il doit en quelque sorte l'oublier en se comportant comme un serviteur; mais même en ce cas, sa fonction n'en est pas mois réelle. Du point de vue du disciple, cette même vertu d'humilité l'amène à vénérer le maître, pratiquement malgré les résistances de ce dernier. De plus, tant que Jésus était dans son corps, il était naturel qu'il conseille à ses disciples de ne pas se disperser et de reser concentrés sur lui. Mais pour les générations suivantes, il devient l'homme-dieu intériorisé (correspondant à l'ishta-devata de la tradition hindoue); il ne peut être le maître spirituel, le gourou, puisque ce dernier doit, presque par définition, exister sous forme physique. Il est important de garder cette distinction présente à l'esprit pourt éviter les syncrétismes faciles ou les pseudo-rapprochements qui en fait mélangent tout.

Quelques paroles (logia) de l'Evangile de Thomas nous aideront à mieux saisir le rôle de Jésus et après lui de ceux qui le représentent dans ses fonctions de maître spirituel. Ces paroles ont l'avantage d'être moins connues et commentées que celle des Evangiles canoniques, et donc de nous amenier à une méditation plus fraîche et directe. Jésus se place d'emblée dans le domaine du spirituel quand il dit 'Je vous donnerai ce qui n'est pas monté au coeur de l'homme' (5, logia 86). Par ailleurs, quand le disciple est en face d'un maître authentique, il ne devrait pas céder à la tentation d'utiliser les Ecritures comme écran entre lui et le maître: 'Ses disciples lui dirent"Vingt-quatre prophètes ont parlé en Israël avant toi et ils ont tous parlé de toi." Il leur dit: "Vous avez délaissé Celui qui est vivant en votre présence et vous avez parlé des morts." '(logia 52)

Pour atteindre un réel pouvoir spirituel, l'unité avec le maître est la voie la plus directe: 'Quand vous ferez du deux un, vous deviendrez fils de l'homme et vous direz:'montagne, déplace-toi' et elle se déplacera." (logia 106). Le disciple doué de compréhension à l'image de Jésus n'a pas besoin d'attendre le dernier jour pour ressusciter: 'Ceux qui disent que le Seigneur est mort d'abord et est ressuscité se trompent, car il est ressuscité d'abord et il est mort.' (Evangile de Philippe, 6) . Que ce soit en Orient ou en Occident, la relation entre maître et disciple culmine dans l'unité; cette unité est célébrée par Jésus durant la dernière Cène: 'Que tous soient uns, de même que Toi, Père, Tu es en moi et moi en Toi, qu'ils soient aussi un en nous... afin qu'ils soient un, de même que nous sommes un.' (Jn 17, 21-22) La personnalité du maître spirituel est destinée à s'effacer quasi complètement dans le Divin, comme l'étoile des Mages a disparu dans l'aube au-dessus de la crèche de Béthléem une fois sa mission accomplie. C'est l'humilité suprême, et la suprême gloire tout à la fois.

Dans la seconde partie d'Elements de psychologie spirituelle, paru en anglais avec les deux études sur Christianisme, yoga et védanta sous le titre 'Hindu Widsdom, Christianity and Modern Psychology', j'analyse le lien, dans l'histoire chrétienne, entre la volonté de construire une Eglise centralisée sur le modèle impérial romain et la constitution du dogme de l'unicité du Christ: 'Un Père, un Fils, une Eglise, un Pape'. Si les Eglises avaient pu se développer de manière non centralisée, avec des théologies diversifiées, elles auraient sans doute pu s'intégrer plus facilement dans la société indienne pluraliste, où l'unicité du Christ, l'uniformité dogmatique et institutionnellele du christianisme est plutôt vécue comme un manque de savoir-vivre dans la société des religions que comme une force.
 
 

Les Pères du désert

Le conseil fondamental des Pères du désert est simple: 'Assieds-toi dans ta cellule, et elle t'enseignera tout ce dont tu as besoin.' Cela semble suggérer qu'on n'a pas besoin de maître spirituel. Mais on peut comprendre qu'un tel avis, si facile à énoncer, ne prend toute sa force que s'il est donné par quelqu'un qui l'a suivi lui-même pendant de longues années et a réussi dans cette voie, en un mot par un maître. Dans le désert (à partir du IVe siècle, en Egypte principalement), ces maîtres n'étaient pas toujours des Pères, Abbas; mais aussi des Mères; Ammas, (curieusement le nom dont on désigne un Mère-guru au Kérala, dans le Sud de l'Inde). Le disciple approche le maître en lui demandant: 'Donne-moi une parole de vie.' Parole n'est pas ici synonyme de mot, il s'agit d'une parole au sens fort, essentielle, dite dans le contexte juste, au moment juste; dans sa brièveté,

elle a une valeur d'éternité. Par exemple, une vie consacrée à l'érémitisme donne tout son poids à la parole: 'Il n'est pas d'épreuve que le silence ne puisse vaincre.' (7) Cette parole correspond au mantra de l'hindouisme.

Le maître ne peut faire le travail du disciple, mais il peut lui conférer une énergie. Un jour un visiteur expliqua à un Ancien son emploi du temps quotidien et toutes les pratiques qu'il accomplissait consciencieusement. Il lui demanda à la fin ce qu'il pouvait faire de plus. L'Ancien se mit debout, leva les mains vers le ciel; ses doigts ressemblèrent à dix lampes enflammées et il dit:'Pourquoi ne pas te transformer complètement en flamme?' (8) Dans le contexte chrétien, cette transmission d'énergie peut prendre l'aspect d'une prière passionnée au Tout-Puissant. Un disciple se plaignit de sérieux obstacles intérieurs. Le Père invectiva Dieu: 'Dieu, que tu le veuilles ou non, je ne te lâcherai pas que tu n'aies guéri mon disciple'. Et ce dernier fut libéré (9) Même quand elle s'exprime avec discrétion, cett transmission d'énergie n'en est pas moins réelle. A témoin cette parole de Saint Macaire, disciple de Saint Antoine, quand il s'adressait aux foules qui venaient le visiter au désert: 'Moi, je ne suis pas encore moine, mais j'ai vu des moines'.

Les Pères ne se lançaient pas dans des contreverses théologiques ou métaphysiques (bien que certains aient pu parfois participer à des Conciles), mais ils étaient à leur aise dans la pratique de la psychologie spirituelle. Souvent, ils préféraient parler d'obstacles (prosbolê) que de diable (diabolos); ils avaient une notion pratique des pouvoirs de l'inconscient et de ses productions. Saint Maxime le Confesseur parlait à ce propos d'anergésie, c'est à dire d''énergie qui remonte'. Comme dans la sagesse de l'Inde, les Pères ramenaient tous les maux de l'individu à la philautia, l'attachement à son petit moi, l'égo. (10) Les novices avaient pour coutume d'extérioriser, de dire ce qu'ils avaient dans l'esprit au maître spirituel à tout moment. Cette 'manifestation des pensées' (exagoreusis) était une sorte de psychanalyse; cependant, les maîtres de l'époque savaient ne pas se laisser piéger dans les labyrinthes sans fin de la mémoire: 'Ce n'est point ce que tu es ou ce que tu as été que Dieu regardes, mais ce que tu désires être.' On évite ainsi de donner une importance excessive aux conflits internes en se laissant hypnotiser par eux. Un problème psychique est souvent comme un insecte sur un mur; si on le fixe trop lontemps du regard, il se met à se dédoubler, puis à se démultiplier.

Il ne s'agit pas de baisser la tête, accablé par la contemplation désabusée de ses complexes psychologiques, mais plutôt de se redresser; comme dit une antienne des PremièresVêpres de Noël:'Levate capita vestra; ecce appropinquabit redemptio vestra.' 'Levez la tête; voilà que votre redemption approche.' Ceci dit, la 'manifestation des pensées' représente une méthode directe de purification de l'esprit; elle permet de 'faire sortir les serpents de leur tanière' et de 'faire prendre l'air au linge qui a été longtemps renfermé dans la boîte.' Elle prépare les débutants à une vie de méditation intensive, car qu'est-ce que la méditation, si ce n'est la manifestation des pensées devant le maître intérieur, qui ne fait qu'un avec le divin en nous? Par leur vénération pour l'Ancien, les visiteurs acquéraient une science au-delà des mots. A quelqu'un qui venait à lui régulièrement mais ne posait jamais de questions, Saint Antoine demanda un jour la raison de ses visites: 'Il me suffit, Père, de voir.' On s'étonnait que le futur Saint Arsène qui était alors homme de lettres vivant dans le monde vienne demander conseil à un ascète du désert qui savait à peine lire et écrire. Arsène répondit: 'La science romaine et héllénique, je la possède, mais l'aphabet de ce rustre, je l'ignore.' (11) La vénération du maître poussée jusau'à la quasi-divinisation permet de dépasser les plus grands obstacles: 'Je ne peux rien contre toi, disait Satan à Macaire, le disciple d'Antoine, car tu as pris conseil de cet Antoine et tu en as fait (comme) un dieu par ton amour et ton humilité véritable.' (12) (le 'comme' a été rajouté par le traducteur, l'expression originale rappelle la divinisation du gourou dans l'hindouisme).

Après la mort du maître, celui-ci est honoré par le disciple comme un Saint: 'Dès l'année qui suivit la mort de son maître, Saint Syméon le Nouveau Théologien célébra en tant que disciple et conformément à la tradition apostolique la mémoire de son Père comme celle de tous les autres Saints.'(13). Ceci n'a pas manqué d'attirer sur Syméon, qui n'était pas encore canonisé à l'apoque, les foudres de l'évêque de service. Mais il a tenu bon, et a finalement obtenu gain de cause en montrant que son culte du maître défunt allait dans le sens de la tradition authentique. Il avait en fait déjà l'habitude des conflits à propos de son Père spirituel. Pour aller demeurer auprès de celui-ci, il avait quitté son monastère contre l'avis de son chef de communauté (higoumène). Ce même Syméon avait l'air de savoir ce qu'était l'expérience mystique; c'était lui qui disait:'Si tu ne vois pas Dieu dans ce monde, tu ne le verras pas dans l'autre.'

La relation de maître à disciple est vitale, presque viscérale: 'Je n'ai que vous, vous n'avez que moi' disait Saint Théodire Studite à ses disciples. 'Pourquoi m'appelez-vous Père si votre eprit est loin de moi?' Cette relation se continuera dans l'autre monde; au jour du Jugement, c'est le maître qui présentera à Dieu le groupe de ses disciples, c'est avec lui qu'ils seront sauvés. Ceci rejoint l'idée indienne selon laquelle le maître accompagne ses disciples, vie après vie, jusqu'à ce que ces derniers parviennent à la libération.

Quelle est en conclusion l'utilité d'un maître spirituel d'après les Pères du désert? En premier lieu, se concentrer sur lui habitue à voir Dieu dans la créature; c'est plus facile de Le voir dans le coeur pur d'un Ancien que dans l'esprit agité du premier venu. Le but ultime reste cependant de voir Dieu en tous: 'Qui voit son frère voit son Dieu'. La relation au maître n'empêche pas la vraie liberté, mais la favorise plutôt. L'Ancien peut dire au disciple: 'Tout ce que ton âme désire accomplir selon la volonté de Dieu, fais-le et tu seras sauvé.' (14) Ainsi, l'aspirant atteint l'apatheia qui n'est pas insensibilité mais absence d'émotions parasites, clarté d'être. Il parvient à l'hésychia;, la 'déifiante quiétude' et à la joie sans cause ni attachement: 'Je me réjoiuis dans la joie' 'chaira chairô'.
 
 

Le saint médiéval

Il y a des ressemblances marquées entre le saint médiéval et le gourou hindou. On retrouve par exemple le schéma de l'ermite qui se retire, des disciples qui se regroupent peu à peu autour de lui et qui finissent par fonder un monastère. En Occident, à ces monastères se sont adjoints des villages qui ont pris leur essor propre: c'est le cas de Saint-Claude dans le Jura et de nombreux autres villes ou villages qui portent le nom d'un saint ermite fondateur. Il n'était pas rare non plus que des moines reviennent à la société et se voient attribuer des fonctions épiscopales. De même en Inde, la solitude est considérée comme une phase de pratiques intensives, mais elle n'est pas une fin en soi. On s'attend à ce que le gourou ait une action dans la société, même si elle se situe plus sur le plan de l'aide spirituelle que de l'action politique; cependant, on peut trouver tous les cas de figure dans ce pays d'un milliard d'habitants. Les foules aiment aller voir les hommes de Dieu, il y a même une sorte de dicton qui conseille: 'Allez voir un sage même si vous n'êtes pas invité.'

Bien que la personnalité des saints médiévaux corresponde à la variété de la vie même, il y a cependant deux groupes qui sont bien représentés: d'abord, le saint bien installé dans la hiérarchie sociale, souvent un roi ou un évèque; il a servi les intérêts de l'Eglise de façon notable et a eu un certain nombre de vertus; sa canonisation ne pose pas de difficulté particulière. A l'autre extrême, il y a le saint ou la sainte qui a mené une vie de pénitence, d'obéissance, d'humilité, voire d'humiliation parfois aux mains des clercs eux-mêmes, tout cela de façon 'héroïque'. Les autorités ecclésiatiques estiment qu'il s'agit d'un bon exemple à proposer aux fidèles, et elles organisent son culte. On peut noter que la hiérarchie est valorisée dans les deux cas de figure. A partit du XIIIe siècle, on a commencé à instiruer les 'procès de canonisation'. Auparavant, les saints pouvaient recevoir un culte pratiquement de leur vivant, ou déjà immédiatement après leur mort. C'est l'ampleur du pèlerinage se constituant autour d'eux qui décidait d'une canonisation de facto. C'est à ce propos qu'on a dit pour la premmière fois. 'Vox popupli, vox Dei'. 'La voix du peuple, c'est la voix de Dieu'. L'Inde actuelle fonctionne toujours sur ce principe. Pour donner une idée de l'importance du culte des saints qu Moyen-Age, on peut aussi noter que le premier texte non-administratif en langue française a été une séquence en l'honneur de Sainte Eulalie remontant au IXe siècle (14)
 
 

Le schéma du fondateur d'Ordre

Le fondateur d'Ordre et la communauté des premiers frèeres reproduit le modèle du Christ et de ses disciples. Saint Benoït avait installé autour de Subiaco douze discipples à la tête de douze laures (petites communautés monastiques). La structure restait familiale et saint Benoît, le patriarche, savait la diriger avec l'esprit d'un serviteur: 'On pouvait voir en lui cette cette ignorance qui sait tout et cette connaissance qui ne sait rien.' disait son biographe le Pape Saint Grégoire le Grand. Saint François d'Assise, lui aussi, était entouré de ses douze disciples, nous dit-on au début des 'Fioretti'. Même si l'histoire a été un peu arrangée pour parvenir au nombre de douze, le message n'en est pas moins clair: les premiers frères considéraient leur relation au fondateur comme reproduisant celles des disciples avec le Christ lui-même.

Dans l'Ordre de Cluny, une reforme bénédictine qui a eu une importance consdiérable au Moyen-Age, Saint Odon, Saint Odilon, Saint Mayeul et Saint Hugues ont assuré la stabilité à la fois institutionnelle et spirituelle de l'abbaye et de ses filiales. Le système de Cluny consistait en ce que l'abbé choisisse un prieur avec lequel il travaillait jusqu'à sa mort; ensuite, le prieur lui succédait: il s'était établi entre eux une véritable relation de maître à disciple. Grâce à cette formation qui s'étalait sur plusieurs décades, les abbés de Cluny ont pu s'approcher d'un idéal de sagesse, comme par exemple le célèbre Pierre le Vénérable. On disait de Saint-Mayeul dans son éloge funèbre qu'il avait été un 'hommmme parfaitemment beau'. En Inde; la relation de gourou à disciple reproduit celle de Krishna à Arjouna telle qu'elle est décrite dans la Bhagavad-Gita. Même si les hindous vont un pas plus loin et disent que pour eux le gourou 'est' Krishna, cela ne les empêche pas de savoir clairement que leur maître ne leur parle pas dans un chariot sur un champ de bataille comme dans la Gita. Ils veulent dire que l'esprit de Krishna est là, et jusqu'à un certain point sa personne, ce qui est finalement très proche de la conception chrétienne.

Les sadgourous (gourous réels) indiens ont comme les saints médiévaux un grand pouvoir d'attraction; ils peuvent dire à quelqu'un 'viens et suis-moi' et être suivis pour de bon. Cette attraction est en lien avec une affectivité sublimée. Le maître peut dire, tel l'Epoux du Cantique des Cantiques: 'Lève-toi, ma bien-aimée, viens, car voilà l'hiver passé, c'en est fini des pluies, elles ont disparues. Sur notre terre les fleurs se montrent, la saison des gais regrains est arrivée...' (Ct 2; 10 et 12). Le maître, le sommet du monde manifesté aux yeux du disciple, crée dans le coeur de ce dernier un impact d'amour dont il est difficile de sonder la profondeur. Qu'on se souvienne de la conclusion du Cantique: 'Pose-moi comme un sceau sur ton coeur, comme un sceau sur ton bras, car l'amour est plus fort que la mort.(Ct 8, 6). Dans le christianisme, et c'est ici que réside la différence avec l'hindouisme, les maîtres spirituels ont de la difficulté à établir des lignées stables. Soit ils restent des mystiques isolés qui n'ont ni maîtres ni disciples, soit ils fondent une communauté, voire une congrégation ou un Ordre et les remous de la vie collective ainsi que les intrigues quasi-obligées pour avoir une reconnaissance par l'autorité centrale diluent leur impact. Parfois néanmoins, certains grands mystiques ont entamé un début de lignée spirituelle de haut niveau comme Maître Eckhart avec Tauler puis Suso, mais ces cas sont isolés. En Inde, la lignée est la règle, même si la qualité de la succession n'est bien sûr pas automatiquement garantie.
 
 

Le légalisme romain a-t-il décapité la sainteté?

Au Moyen-Age, religion et politique sont mêlées de près. Certains rois semblent avoir été canonisées parce qu'en se convertissant, ils ont converti leur peuple aussi. Les 'saints' qui ont donné leur nom à bon nombre de villes du nord de la Bratagne (Saint Lunaire, Saint Cast, etc...) semblent avoir été des chefs de bandes d'envahisseurs venus d'Angleterre au Ve siècle; ils ont eu le bon goût de se convertir pour stabiliser leur emprise sur le petit territoire qu'ils s'étaient taillés dans l'Empire romain en voie d'effondrement. Avec la peur des hérésies, surtout depuis les Albigeois au XIIIe siècle, la vie mystique est de plus en plus contrôlée et cloîtrée, mise à l'écart, cela étant particulièrement vrai pour la mystique féminine. Au XIIe siècle, Sainte Hidegarde de Bingen, abesse Bénedictine des bords du Rhin, pouvait prêcher devant le peuple. Elle entretenait des rapports avec Saint Bernard, les Papes et les Empereurs de son temps. Elle pouvait en même temps publier la description de ses visions, même les peindre, écrire de la poésie et des traités de médecine et composer de la musique pour le choeur. En 1218 survint le premier décret visant à clôtutrer les femmes dans leurs couvents. C'était la période même où Simon de Montfort avait enfermé plusieurs milliers d'habitants de Béziers dans la cathédrale et avait mis le feu, et où l'Inquisition faisait ses débuts.

En 1311, on condamne officiellement les béguines, des femmes qui vivaient une vie de célibat consacré sans pour autant avoitr envie de s'enfermer derrière les grilles d'un cloître. Derrière cette décision, il y a l'influence de l'Université de Paris, milieu exclusivement masculin. Psychologiquement, il est facile à comprendre que pour des clercs célibataires épris de raison et d'ordre, parfois au point d'en devenir quelque peu obsessionnels, les mouvements incontrôlables d'un e mystique féminine libre avait l'aspect effrayant d'un 'retour du refoulé'. De même, dans l'Espagne du siècle de Sainte Thérèse d'Avila, les femmes qui donnaient un enseignement spirituel ont été sérieusement combattues par les inquisiteurs, grands ou petits, avec les méthodes de l'époque qui n'étaient pas particulièrement tendres.

En 1215, pour en revenir à l'époque du triste sire de Montfort, le pape interdit de vénérer les reliques des saints sans autorisation... du Pape. Pour qu'un saint soit canonisé, il faut même qu'on soit sûr qu'il n'ait pas reçu de culte non autorisé. Pour cela, on ouvrait un 'procès de non-culte'. ..Cela signifiait en clair que désobéir aux règlements de la Papauté, même après sa mort et involontairment, constitue un 'péché contre l'Esprit' suffisamment grave pour annuler a priori tout le mérite d'une vie de sainteté. On ne peut imaginer divorce plus complet entre une hiérarchie avide de pouvoir et de contrôle et les sentiments religieux du peuple.

On passe ainsi de la 'vox populi, vox Dei', de la dévotion populaire spontanée, parfois du vivant même du saint, à un culte orchestré par le Vatican qui ne rentre en action que bien longtemps après la mort de celui qu'on canonise. On s'éloigne ainsi également du système de libre-choix qui est toujours en vigueur en Inde. L'intensité de la relation avec un saint vivant qui peut agir comme un maître spirituel est remplacé par le culte ritualisé, je dirai aseptisé, des statues et des reliques des saints du calendrier. Ces pratiques ont certes une fonction religieuse, mais l'efficacité spirituelle du maître, son 'potentiel révolutionnaire' si l'on peut dire est sérieusement atteint par cette évolution. Il n'est pas interdit de penser que la hiérarchie souhaitait en fait cela: à ses yeux, mieux vaut une médiocrité disciplinée qu'une ferveur incontrôlable, une statue aux yeux doux qu'un maître qui peut dénoncer à tout instant les abus de l'institution. Derrière cette unité, cette mise au pas superficielle, la crédibilité spirituelle de l'Eglise souffre et la grande fracture de la Réforme s'annonce.
 
 

Après le Moyen-Age: Réforme et Contre-Réforme

Dans sa hâte de rejeter la hiérachie romaine, la Réforme a mis de côté un certain nombre de moyens éprouvés pour progresser dans la voie mystique; elle a, pour dire comme les Anglais, 'jeté le bébé avec l'eau du bain'. Le rejet du culte des saints a supprimé un moyen assez naturel d'éducation spirituelle par identification et imitation. La nette diminution des célibataires parmi les Pasteurs de la réforme a aussi entraîné une régression de la vie de solitude consacrée à Dieu. Les enseignants spirituels étant mariés ils ont moins eu besoin de ces moyens de sublimation affective que sont la dévotion au maître spirituel et le culte de la Vierge Marie par exemple. Dans l'ensemble, ils investissent moins la vie mystique à proprement parler pour plus s'engager dans la vie familiale et sociale. En un sens, les pasteurs sont honnêtes quand ils disent à leurs frères qu'ils ne veulent plus assumer la direction spirituelle individuelle et leur conseille de faire comme ils font eux-même, c'est à dire d'ouvrir leur B ible et d'essayer de se débrouiller avec. Cependant, la fonction de maître spirituel est présente dans le cas de fondateurs de groupes et sous groupes protestants et de dirigeants charismatiques. Elle n'est pas étrangère à la vitalité des églises protestantes actuelles, bien que le charisme de l'enseignant spirituel puise être bien sûr dévié à des fins sectaires de conversion pure et simple. Même si nous ne pouvons développer ces points ici, ils méritent d'être relevés.

Au XVIIe siècle, la Contre-Réforme apporte un renouveau de la direction spirituelle. Les confesseurs ont une influence sur le pouvoir; le Père Joseph confessait Richelieu, Monsieur Vincent était proche d'Anne d'Autriche, le Père Coton, quant à lui, se chargeait du Roi. C'était une sorte d'effet de retour puisque l'Eglise elle-même était inféodée au pouvoir royal depuis le Concordat de Bologne en 1516. Le système des abbés commanditaires désignés par le roi a entraîné la décadence spirituelle de la vie monastique: mystique et administration ne font pas bon ménage à long terme. Les ermites étaient nombreux à l'époque comme le montre Saintsaulieu dans son 'Histoire des ermites fraçais entre le XVIe et XIXe siècle' (Editions du Cerf), mais ils étaient considérés comme la 'cinquième roue du carosse'. Ils étaient étouffés par des règlements en tout genre et le peu d'indépendance qu'on leur laissait était stérilisé par les sérieuses limitations qu'on imposait à leur désir d'enseigner si celui-ci se manifestait. Les questions spirituelles étaient débattues à la Cour et se résolvaient à coup d'intrigues et cabales. L'épisode fameux de la mise en Bastille de Madame Guyon en est un triste symbole. La direction spirituelle; réservées au clergé, c'est à dire aux hommes, était un puissant instrument de contrôle des âmes mystiques qui auraient pu être tentées par les doctrines protestantes, en particulier celle du rappport direct avec l'Esprit-Saint.

Je ne sais pas si l'on peut parler de 'siècle d'or de la direction spirituelle'. Il faudrait peut-être mieux dire de façon plus réaliste 'le siècle doré des confesseurs'...Parmi tous ces confesseurs, les vrais maîtres étaient rares, comme ils l'ont été à toutes les époques. Cependant, les pénitents avaient une vénération pour leur directeur. Ils pouvaient même aller jusqu'à s'engager envers lui par un voeu de fidélité qui n'est pas sans rappeler l'initiation (diksha) hindoue officialisant un rapport privilégié entre maître et disciple.

La confession, en partant sans doute de l'idée de favoriser une relation d'ouverture au maître spirituel en l'institutionnalisant, peut parfois lui être nuisible. D'une part, il donne l'impression que le maître spirituel doit être un prêtre, alors qu'il peut être un moine non ordonné ou une religieuse tout aussi bien, et d'autre part il peut affaiblir une confiance et une réflexion naissante sur ce que peut apporter un maître en laissant croire au pénitent que le rituel est l'essentiel de que ce qu'on peut attendre de cette relation d'aide spirituelle. L'intensité de la foi dans le sacrement est remise en question, voire sapée par le caractère automatique de l'acte de confession, la superficialité de la relation au confesseur considéré comme fonctionnaire de l'autorité centrale et en dernière analyse, l'efficacité souvent réduite sur le changement intérieur.

Le XVIIe siècle, malgré les limitations que nous venons d'évoquer, a vu se développer de belles relations de direction spirituelle. Saint François de Sales, le confesseur de Sainte Jeanne de Chantal, disait dans le langage de son temps: 'Cherchez quelqu'homme de bien qui vous guide et conduise; c'est là l'avertissement des avertissements'...'Vous devez écouter le directeur comme un ange qui descend du ciel pour vous y mener' On retrouve ici l'idée de gourou qui est 'avatar' (litéralement 'celui qui descend') aus yeux de ses disciples. Pour eux, il est réellement une descente du Divin destinée à les élever. Monsieur Olier, l'âme de Saint-Sulpice, tenait en haute estime la direction spirituelle: 'Les directeurs sont les pères du peuple, mais ils en sont également les véritables mères et nourrices.' Il était coutumier de la communication silencieuse avec ses pénitents comme pouvaient l'être les Pères du désert et comme le sont encore les gourous indiens durant leur darshans: 'Le jour de la Septuagésime, confessant l'un de nos Messieurs, je sentais une certaine inluence qui, sortant de ma poitrine, se répandait en lui. Je demeurais longtemps sans parler, laissant influer ses effets dans son âme, et lui aussi demeurait en silence pendant ce temps. Le jour de l'Annonciation, Monsieur de Bretonvilliers, venant se confesser à moi, ressentit dès qu'il fut à genoux une substance qui le remplissait et sortait de ce serviteur misérable. Il n'était pas accoutumé à ces expériences divines et ne saiiat qu'en penser. Il demeurait près de moi sans pouvoir se retirer et me disait par étonnment: 'Vous êtes en moi! Je vous sens en mon âme' (16)

La relation également de Madame Guyon avec son fils spirituel Fénelon décrit bien la transmission du pouvoir spirituel: 'Il y a des moments où il me semble que mon âme vous attire à elle et vous change en elle en sorte que j'éprouve une unité ineffable de Dieu, de vous et de moi qui rend indivisible des choses qui paraissent si distinctes. Lorsque je suis près de vous, ll semble que l'on verse mon âme dans la vôtre de manière impétueuse: mais j'éprouve que mon âme n'est versée dans la vôtre que pour l'attirer à soi et l'abîmer en elle. Ce que je vous dis est plus réel que je ne puis dire, et je ne crois pas qu'il y ait encore pareille union sur terre, non de sentiment, mais de vérité et de pureté. Vôtre âme est goûtée par la mienne, et je la trouve d'une pureté extrême...' Fénelon témoigne en retour d'une haute considération pour sa mère spirituelle: 'La pensée que j'ai de vous m'est toujours utile, car je ne vous vois qu'en Dieu, et Dieu à travers vus sans m'arrêter à vous...Notre union est fixe et elle va toujours croissant dans ce temps-même....Ma confiance est pleine par la persuasion de votre droiture, de votre simplicité, de votre lumière et de votre expérience des choses intérieures, enfin du dessein de Dieu sur moi par vous...' (17)

Madame Guyon avait médité ce modèle qu'est la relation du Christ avec Saint Jean: 'Un des disciples que Jésus aimait était couché sur le sein de Jésus' (Jn 13, 23). Elle nous donne le commentaire suivant sur ce verset: 'O divin Maître, qu'il y avait longtemps que vous vous communiquiez de cette sorte en silence, que vous vous écouliez en lui! Il s'était fait une transmission si admirable du Christ en Saint Jean, et le maître s'était tellement écoulé dans le disciple de manière ineffable, que Jésus-Christ ne fit aucune difficulté d'assurer à la Croix que Jean n'était plus Jean, mais qu'il était lui-même: car à mesure que Dieu s'écoule en nous, il nous perd en Lui. C'est le même mouvement que celui des vagues de la mer: la même vague qui pousse, ce semble dehors, perd et abîme en soi ce qu'elle avait poussé.' (18)
 
 

La tradition des staretz

Les staretz étaient des maîtres spirituels de l'Eglise Orthodoxe de Russie. Leurs lignées se sont surtout épanouies à la fin du XVIIIe siècle et au cours du XIXe; actuellement, il semble qu'il y en ait toujours quelque uns qui aient pu traverser les persécutions en Europe de l'Est. Par opposition aux staretz, les 'fous de Dieu' n'étaient pas en général des maîtres spirituels. L'indépendance des staretz n'a jamais été complètement acquise. Si l'on regarde par exemple l'histoire d'une de leur plus célèbres lignées, celle d'Optino au XIXe siècle, on s'aperçoit que les staretz n'ont pu s'installer et enseigner là que grâce à la protection de l'abbé du lieu, Moïse. L'évêque, jaloux de la réputation grandissante du premier staretz, Léonide, voulait le faire arrêter. Ce dernier qui était une force de la nature s'exclama: 'Quest-ce que ça peut me faire?. Vous pouvez m'envoyer en Sibérie, vous pouvez me brûler vif, je ne cèderai pas, je resterai le même Léonide. Je n'invite peersonne à venir à moi, mais je ne peux renvoyer ceux qui viennent quand même.' (19). Ce qui a empêché que Léonide ne 'disparaisse de la circulation ' et ne soit envoyé en Sibérie n'a pas été tant sa force d'âme qu'une intervention favorable du Métropolitain de Kiev, qui était plus influent que l'évêque du lieu. De telles histoires de persécutions par les autorités ecclésiatiques, auxquelles nous sommes habitués dans la vie des saints chrétiens presque comme à une figure de style, sembleraient fort étranges à un hindou: pourquoi diable empêcher un maître spirituel, un gourou de recevoir ceux qui viennent à lui? Dans cette ambiance générale, on comprend mieux l'histoire des Sociétés secrètes en Occident, avec des maîtres spirituels qui avaient décidé de se retirer et de n'enseigner qu'à une poigée de disciples dans la plus grande discrétion.

Il y avait souvent foule à Optino. Lorsque l'Abbé Moïse était agon isant, quatre mille personnes sont passées à son chevet pour recevoir sa bénédiction. Ceci dit, les excès de dévotion n'étaient pas encouragés :'Le staretz Léonide traitait de 'chimères' toutes les manifestations sentimentales de l'affection. Il disait :"J'étais auprès de mon maître le Père Théodore sans aucun fanatisme et pourtant intérieurement j'étais prêt à me prosterner à ses pieds.' (20) Le staretz est une icône de l'Absolu. Le simple fait de la voir transforme: 'Un homme qui avait passé des années à chercher la 'vraie religion' et qui ne l'avait pas trouvée chez Tolstoï vint enfin à Optino 'rien que pour voir'. 'Eh bien, regardez' lui dit le staretz se dressant devant lui et le fixant avec des yeux pleins de lumière; l'homme se sentit comme réchauffé par ce regard. Il resta plusieurs mois à Optino. Un jour, il dit au staretz: "J'ai trouvé la foi".' (21)

Les staretz sont des figues attachantes ne serait-ce que par l'intensité du travail qu'ils ont fait sur eux-mêmes. Saint Séraphim de Sarov est resté solitaire jusqu'à 68 ans; entre 68 et 74 ans, la date de sa mort, il a enseigné, et une bonne partie de la Russie s'est déplacée pour l'écouter. Le staretz est aimé à cause de sa compassion; Ambroise d'Optino disait à la fin de sa vie: 'J'étais sévère au début de mon startchestvo, mais à présent je suis devenu faible: les gens ont tant de douleur, tant de douleur!' Le staretz sait éveiller l'émotion, mais garder en même temps ses distances et son mystère; il peut dire, comme le Christ à Marie-Madeleine au matin de Pâques: 'Noli me tangere' 'Ne me touche pas'. Il est capable d'utiliser l'influence sans influence, et ce n'est pas là l'un de ses moindres attraits; il agit par le simple fait d'être ce qu'il est. 'Conquiers la paix' disait Saint Séraphim de Sarov, 'et des milliers seront sauvés autour de toi' (22) Ce même Séraphim de Sarov est devenu un des Saints les plus populaires de Russie peut-être à cause de sa joie: 'Christ est ressuscité, ma joie' disait-il aux visiteurs en guise de salut. Puis, de temps à autre, il sortait une icône de la Vierge de tendresse et ajoutait en la leur montrant: 'C'est la joie de ma joie'.
 
 

La communauté peut-elle remplacer le maître spirituel?

Il y a une différence d'insistance entre l'hindouisme qui s'appuie essentiellement sur le maître spirituel et le christianisme qui privélégie une hiérarchie centralisée. Dans les deux traditions, la notion de communauté à vocation religieuse est valorisée; en Inde, on parle de 'satsang' (lit: 'demeurer avec l'être'). Cependant, dans l'hindousisme, la véritable raison d'être d'une communauté est sa centration sur un maître spirituel. Si ce dernier manque, la communauté ou ashram est plutôt considérée comme une commodité pour ceux qui veulent faire retraite tranquillement, mais elle manque de pouvoir évolutif.

Certes, dans la vie occidentale actuelle, les communautés spirituelles que ce soit dans le cadre de l'Eglise catholique ou en marge ou en dehors répondent à un besoin. Le monde dit civilisé, derrière une présentation impersonnelle et aseptisée, laisse émerger la violence sous de multiples formes. En s'identifiant à un petit groupe, on peut se différencier, s'individualiser par rapport à la masse sociale et progresser vers l'indépendance intérieure. Beaucoup de gens ayant une vie relationnelle perturbée sont contents de pouvoir y trouver une assemblée surtout s'ils peuvent y exprimer leurs émotions comme par exemple dans certains groupes de prière. De plus, comme le sentiment d'inutilité est fort répandu, connaître un endroit où l'on puisse se rendre utile, éventuellement devenir après une période de formation un 'acccompagnateur', représente une gratification non négligeable. Un autre avantage des communautés, c'est qu'elles développent une physionomie propre; plus grande est leur variété, plus grandes sont les chances que chacun en trouve une qui corresponde à son tempérament.

Dans certaines communautés, les 'accompagnateurs' -une nouvelle fonction dans la vie des communautés- et psychothérapeutes travaillent de pair. Je ne nie pas qu'un certain nombre de gens aient besoin d'accompagnement affectif et de thérapie. Cependant, dans l'échelle des mesures intérieures, deux demi-maîtres n'égalent pas un maître entier...Les indiens expriment bien le danger qu'il y a à prendre des gens en charge spirtuellement sans être complètement mûrs pour cela avec une comparaison: quelqu'un en haut d'une falaise veut aider une autre personne qui est en bas à monter. Il lui lance une corde et tire une fois que l'autre l'a attrappée. A ce moment-là, de deux choses l'une : soit celui qui est en bas monte effectivement, soit celui qui est en haut dégringole.

Il est vrai que certains hindous exagèrent le respect qu'ils ont pour leur maître spirituel, mais les chrétiens, eux tombent assez souvent dans l'idolâtrie de la communauté à mon sens. Celle-ci est en effet une épée à double tranchant. Elle aide celui qui est en dessous du niveau moyen à atteindre celui-ci, mais elle freine celui qui a plus de capacités en le ramenant constamment dans la moyenne. L'essentiel de la transmission spirituelle est une transmission gratuite. Nous avons cité en exergue de cette étude la belle parole de Pierre au paralytique qu'il a guéri à la porte du Temple: 'De l'or et de l'argent, je n'en ai pas, mais ce que j'ai, je te le donne.' (Ac 3,6). Pour une communauté, il est en fait très difficile de donner gratuitement. Même si elle ne réussit pas à convertir et embaucher directement ceux qu'elle aide, elle s'attend au moins à une reconnaissance sociale pour son action 'désintéressée'. En réalité, seul un individu, en l'occurence un maître spirituel connaît suffisamment bien son propre esprit pour être capable de donner vraiment gratuitement 'sans que la main gauche ne sache ce que fait la main droite'.

Est-il bon, d'un point de vue psycho-spirituel, d'éveiller les émotions? Les mystiques disent qu'il faut aller au-delà des sens, c'est à dire en pratique déjà au-delà des émotions. Celles -ci sont une grande force si on sait ne pas être jouées par elles mais au contraire jouer avec elles pour parvenir à les diriger vers le Divin.

On peut aussi distinguer entre la 'transparence émotionnelle' ('se dire devant le groupe') qui fait la fortune des week-ends thérapeutiques et des assemblées de prières en tout genre, et la transparence spirituelle, qualité plus rare et qu'il est plus facile de cultiver au début dans le cadre protégé et pure de la relation de maître à disciple. La tranparence émotionnelle a des avantages immédiats certains pour les nombreuses personnes qui souffrent d'isolement, mais elle a plusieurs inconvénients: elle expose à avoir l'esprit manipulé par le leader du groupe ou certains de ses membres, elle favorise aussi un éveil sexuel qui peut fortement perturber la sérénité qu'est censée apporter la pratique spirituelle et de plus, elle peut rendre 'contaminable' par le 'virus' d'une épidémie émotionnelle qu'on prend à tort pour un mouvement spirituel sous prétexte qu'il se répand rapidement et qu'il a beaucoup d'adhérents en utilisant des slogans plutôt simplistes. La discernement est indispensable. A ce propos me revient en mémoire l'histoire de la secte qui avait écrit sur de nombreux murs d'une ville aux Etats-Unis: 'Jésus est la réponse!'. En dessous, quelqu'un avait ajouté avec la sagesse de l'humour: 'Quel est la question?'

On se demande beaucoup s'il faut oui ou non rentrer dans une communauté spirituelle, mais on se demande moins quand il est bon d'en sortir. Si l'on veut que cette sortie ne soit pas vers le bas, c'est à dire vers un retour au matérialisme, il est souhaitable que la relation à la communauté soit relayée par celle à un maître spirituel; c'est une évolution naturelle. Un chef ou 'berger' de communauté est loin le plus souvent d'avoir les qualifications d'un maître spirituel. Il peut simplement être quelqu'un d'actif et de sympathique muni de plus d'un bon savoir-faire d'animateur de groupes religieux. A notre époque où beaucoup pensent sincèrement être des 'channels' du Divin, il n'est pas inutile de rappeler le conseil de Saint Bernard: 'Si vous êtes sages, vous ne serez pas seulement un canal de la grâce, mais un vase. Le canal déverse l'eau à l'instant même où il la reçoit, mais le vase se remplit tout d'abord et communique seulement sa surabondance...Apprenez à ne répandre que votre plénitude (23).
 
 

Le maître spirituel dans le christianisme d'aujourd'hui

Le maître spirituel a un grand rôle a jouer actuellement. Le bien-fondé des hierarchies ecclésiastiques est remis en question, des communautés ayant une vocation d'indépendance accrue fleurissent au sein, en marge ou en dehors des Eglises. Pour pouvoir favoriser au mieux le dévelopement intérieur de ses membres, une communauté devrait être centrée sur un maître spirituel. La question d'autorité et de compétence est alors considérablement simplifiée: soit on a le contact du coeur avec celui autour duquel la communauté gravite et on aura tendance à rester, soit on ne l'a pas et on va voir ailleurs. C'est la méthode la plus anciennce et la plus naturelle de transmission spirituelle. En outre, elle correspond aussi au besoin contemporain de choisir en pleine responsabilité celui ou celle avec lequel on désire faire un travail spirituel de longue haleine.

Certes, les maîtres authentiques sont rares, et beaucoup d'Occidentaux ont même de la difficulté à imaginer qu'ils puissent exister. Aujourd'hui encore, ceux qui ont une capacité pour devenir maîtres spirituels sont soupçonnés des deux côtés. Du côté de la hiérarchie s'il font partie du système catholique, car ils risquent de prendre trop d'indépendance et de se constituer avec leur groupe de disciples une sorte de 'clientèle privée' en marge d'une institution qui est déjà en manque de 'clients'. Ils sont aussi soupçonnés par ceux qui viennent leur demander des conseils d'être des sortes d'agents doubles, voire de simple courroies de transmission de la propagande institutionnelle. On leur reprochera de ne pouvoir dire le contraire de la position adoptée par l'institution, et donc de suivre un système de 'langue de bois' , avec de multiples choses à ne pas dire, comme dans les pays de l'Est il n'y a pas si longtemps.

Il y a eu des figues dans le catholicisme moderne qui ont certainement tenu le rôle de maîtres spirituels: par exemple l'Abbé Huvelin, grâce auquel Charles de Foucauld s'est décidé à entre au monastère, puis, après une période de formation, à en sortir pour devenir ermite. Ce n'était pas une mince affaire à une époque où les solitaires étaient virtuellement interdits par l'Eglise. Il fallait que Foucault ait une confiance complète en son Père spirituel pour assumer la vie au désert et une certaine marginalité par rapport au confort des grandes institutions. L'Abbé Huvelin, qui excerçait à l'église Saint Augustin à Paris au début du siècle, recevait entre cinquante et cent lettres par semaine lui demandant une aide spirituelle et passait souvent huit ou dix heures d'affilée à confesser et conseiller ceux et celles qui venaient à lui de toutes parts.

Plus récemment, il y a eu le cas de Marthe Robin, paysanne de la plaine du Rhône. Elle a vécu plus d'un demi-siècle tétraplégique, au trois-quart aveugle, couchée dans une chambre obscure car elle ne pouvait supporter une lumière trop vive; elle avait une alimentation extrêment restreinte la plupart du temps. Malgré toutes ces épreuves dans le corps, on peut dire qu'elle a eu un rôle de maître spirituel. Sous son impulsion, des Foyers de Charité se sont ouverts dans de nombreux pays, elle a influencée directement plusieurs fondateurs de mouvements charismatiques. Elle a surtout aidé par des réponses simples et justes des milliers de visiteurs qui affluaient dans sa petite maison familiale de la Drôme où elle est décédée en 1981. Elle disait: 'Ceux que j'aime, je ne suis pas avec eux, je suis eux.' Un de ses fidèles disait: 'Devant Marthe, on est devant l'être'. (24)

La véritable question, délicate entre toutes, est de savoir qui a la capacité d'être maître spirituel dans le christianisme actuel. Les prêtres sont débordés, trop occupés à l'animation des groupes et les activités socio-religieuse pour s'occuper beaucoup de direction spirituelle. Cela prend trop de temps, et ils en manquent cruellement. Les laïcs, même s'ils sont de bonne volonté et fonctionnent comme 'accompagnateurs' pour certaines personnes et dans certaines communautés, ont leurs soucis de laïcs dans l'esprit, et semblent n'avoir que très rarement l'envergure d'un maître spîrituel au sens traditionnel du terme.

Il y a les psychothérapeutes chrétiens. Ils peuvent assurer un suivi pour des personnes qui se sentent fragiles, même dans le cas où il ne peuvent guère aider ils auront au moins l'avantage sur leurs collègues purement thérapeutes et sans aucune culture religieuse, de ne pas nuire; en effet, ils ne considèreront pas les aspirations spirituelles de leur patients comme a priori pathologique. Il peut y avoir cependant chez eux une plus grande tentation de 'jouer aux gourous', munis qu'ils sont des deux 'clés du paradis', celle de la Foi et celle de la Science...

Restent les moines. Il fut un temps dans l'Eglise Orthodoxe où les moines étaient quasiment les seuls à être autorisés à s'occuper de direction spirituelle, au grand dam des évêques et des séculiers. Pourtant, cette priorité qu'ils avaient est compréhensible. 'Pour être capable de discernement 'diacrisis' dans l'esprit des autres, il faut avoir consacré beaucoup de temps à la méditation et à la connaissance (épignosis) des mystères divins. Un moine peut se dérober devant une première demande d'aide spirituelle par discrétion, ou par peur de jalousies dans la communauté où il se trouve. Cependant, il n'a pas de raison de se dérober indéfiniment si la demande est sincère.

Si on cherche vraiment un maître spirituel, il semble naturel d'accepter l'idée qu'on puisse le trouver en dehors du christianisme. Sa rareté fait qu'il est mieux de le prendre là où il se trouve quand il s'y trouve. De plus, un maître authentique peut transmettre sa présence au-delà des barrières dues aux différences de religions extérieures; c'est certainement une réalité difficile à accepter pour beaucoup d'institutions, mais la rencontre du maître spirituel est au-delà de de ces cloisonnements.

La multiplication des groupes spirituels est bonne à mon sens. Le mouvement, c'est la vie. La nature se développe et évolue par la prolifération des espèces. Jésus ne disait-il pas: 'Il y a beaucoup de demeures dans la maison de mon Père'? Et comment limiter la 'maison de mon Père' à un groupe donné? Y a-t-il, en ce monde ou dans l'autre, l'espace d'une tête d'épingle où le Père ne soit pas? Nous vivons à une épôque où les empires idéologiques totalitaires ont tendance à s'effondrer. Dans le domaine spirituel aussi, il me semble que les monopoles seront de plus en plus dépassés. Surviendra une sorte d'économie 'de marché' qui favorisera une relance de la pratique religieuse. Swami Abhishiktananda l'exprime bien: 'La vérité est cachée dans les profondeurs du coeur. Le seul maître réel est celui qui dirige son attention vers le coeur, le seul vrai disciple est celui qui écoute au-dedans, et ce d'autant plus quand maître et disciple n'appartiennent pas à la même tradition spirituelle.' (26)

Il y a certainement une différence de conception du maître entre Orient et Occident: dans l'Eglise, le maître est une aide pour saisir directement la doctrine de la communauté, dans l'hindouisme, c'est la communauté qui est une aide pour saisir correctement le maître.

Quelques soient ces différences, il faut avouer que ce ne sont pas les vrais maîtres qui manquent, mais les vrais disciples. Il y a certes un risque dans le choix d'un maître spirituel, mais qui ne risque rien n'a rien. Il n'y a pas d'autoroute parfaitement sûre qui mène au sommet de la vie spirituelle. De plus, on peut changer de maître si on acquiert la conviction qu'on s'est trompé. L'erreur est humaine. La rencontre avec le maître spirituel est la rencontre avec notre double, celui qui est différent et pourtant nous-même, celui qui nous ressemble comme un frère. L'amitié qui se noue avec lui est au-delà des mots, au-delà même des pensées, selon la belle expression du philosophe Alain: 'douce amitié, toute en pensée, et presque sans pensée.' C'est dans cet état presque sans pensée qu'on peut approcher le fond de l'être en arrêtant le manège mental, en cessant de caracoler, tels des enfants au manège, sur les chevaux de bois des idées. En cela, nous montrerons que nous avons entendu cet avertissement du Maître des chrétiens (17).

Le Maître disait:

'beaucoup se tiennent autour du puits, mais il n'y a personnne pour y descendre'
 
 

Notes


  1. 1. Vigne Jacques 'Le Maître et le Thérapeute' (1991) et 'Eléments de psychologie spirituelle' (1193) Albin Michel, Spiritualités vivantes.
  2. 2. Hausherr Irénée 'La direction spirituelle en Orient autrefois.' Orientalia Christiana Analecta, no 144, p.61; Rome
  3. 3. Gorainov Irina 'Saint Séraphim de Sarov' Théophanie, DDB, p.60
  4. 4. Jaubert Annie 'Approches de l'Evangile de Jean' Seuil p.39, note 59
  5. 5. On peut trouver la tradcuction de l'Evangile de Thomas par J.Y.Leloup chez Albin Michel ou par Pierre Crépon in 'Les Evangiles Apocryphes' chez Retz
  6. 6. Leloup op.cit. p.149
  7. 7. Merton Thomas 'La Sagesse du désert' Albin Michel, p.92
  8. 8. ib p.77
  9. 9.Hausherr op;cit p.134
  10. 10. id p.95
  11. 11 id p.89
  12. 12. id p;233
  13. 13. id p.204
  14. 14. Merton op.cit. p.42
  15. 15 Pernoud Régine 'Les saints au Moyen-Age- Plon, 1984
  16. 16/ Hermès 'La Maître spirituel' Les Deux Océans, 1983, p.194
  17. 17. id p.220
  18. 18. id p.223
  19. 19. Lossky et Arseniev 'La Paternité spirituelle en Russie au XVIIIe et XIXe siècle' Spiritualités orientales n°21, p.210 Abbaye de Bellefontaine
  20. 20. id p.107
  21. 21. id p;139
  22. 22. Meslin Michel 'Maîtres et disciples dans les traditions religieuses'; Cerf; p.164
  23. 23. Davy MM 'Un itinéraire en solitaire' Albin Michel
  24. 24. Guitton Jean 'Marthe Robin' Grasset p.148
  25. 25. Hausherr op.cit. p.109
  26. 26) Swami Abhishiktananda 'Saccidananda' ISPCK Delhi p.19
  27. 27. Leloup op.cit.p.34


 
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