SOUVENIRS D'AUJOURD'HUI

impressions d'un voyage de quatre mois dans la France spirituelle de maintenant



Je viens de passer quatre mois en France, à l'occasion de la sortie de mon dernier livre 'Méditation et psychologie -soigner son âme'. J'ai animé bon nombre de séminaires et conférences un peu partout dans le pays, ainsi qu'en Belgique et en Suisse, J'ai rencontré nombre de gens d'une grande diversité, mais qui avaient comme base commune une recherche spirituelle. Comme d'habitude Je vis en Inde -J'y repars maintenant pour une longue période, arc de Smedt a pensé qu'il serait intéressant de faire part de mes impressions en quelque sorte d'observateur extérieur sur les évolutions que je perçois dans le milieu spirituel français.

Les immédiatiques

 - C'est le mot qui me revient spontanément à l'esprit pour désigner toutes ces personnes rencontrées qui vivent leur expérience spirituelle par définition immédiate sans guère se préoccuper de ce que disent les médias. Ils ont compris que l'esssentiel est à l'intérieur, et ils cherchent à le vivre à leur manière, Le premier 'portrait' que je voudrais évoquer pour commencer est normal, paradoxalement, celui de quelqu'un que je n'ai jamais pu rencontrer, Ïl m'a touché par ses lettres, où transparaissait une bonne connaissance et expérience du Vedanta, qui est pourtant une voie ardue pour la plupart. Le seul problème pour voir ce correspondant doué, c'était qu'il était depuis trente ans en prison .. Je passais en tournée dans une ville proche de son centre pénitenciaire, je lui ai proposé d'aller le voir, mais la réponse de l' administration a été niet, il fallait demander les autorisations six mois à l'avance. De ce fait, je me suis contenté de lui envoyer des livres spirituels, dont il déguste avec plaisir une petit dose chaque jour. Il m'écrit :' Sans doute la plupart ne comprendront pas ce que je veux dire, mais après tout le travail intérieur que j'ai fait, je me sens bien plus libre que bien des gens qui vivent à l'extérieur.' Cela ne veut pas dire que la recherche spirituelle soit le privilège de personnes incarcérées parce qu'elles ont le temps pour réfléchir. Il s'est trouvé que la personne qui m' a transmis la lettre de ce prisonnier était une princesse, qui passait par là par hasard, si hasard il y a. Elle aussi éprouve le besoin d'une évolution spirituelle, et elle s'est engagée dans une voie de service où elle se donne beaucoup.

La question se posait de savoir, après dix ans passés en Inde, comment ce que je pouvais dire sur le spirituel serait reçu en France. J'ai fait une conférence dans une ville de l'Aveyron, et ensuite nous avons été au grand café en face de la cathédrale pour continuer à échanger avec un groupe d'amis. La patronne du café avait assisté à la conférence, et avant d'aller se coucher, elle avait seulement dit à son mari :' Voilà enfin quelqu'un qui exprime clairement ce que j'ai toujours senti!' C'est une de ces petites réflexions qui m'ont montré, tout au long de mon voyage dans la Fance spirituelle d'aujourd'hui, que la communication passait.

A quelques kilomètres de là, en pleine campagne, habitait le descendant d'une famille aristocratique présente sur placedepuis cinq siècles. Il m'a reçu deux jours dans son manoir, m'a expliqué qu'il avait préféré, plutôt que de continuer dans les affaires à Paris, développer une ferme biologique sur ses terres et utiliser les vastes bâtiments qu'il possédait pour organiser des stages à des prix trés abordables, et favoriser le développement spirituel des personnes, chose au monde à laquelle il croyait le plus. La tournée de conférence et stages que j'ai faite en Bretagne avait été organisé par un ami que je connais depuis vingt ans car nous avons pratiqué le yoga ensemble, et il continue à le faire quotidiennement. Il ne travaille pas dans le domaine spirituel, il est mécanicien de son état, mais cela ne l'a pas empêché d'organiser ma tournée de main de maître.

En Belgique, j'ai vu venir à ma conférence deux psychiatres l'un avait cinquante ans et quittait tout pour aller faire le tour du monde. Le bruit courrait parmi ses patients, qui avaient eu vent de ses tendances spirituelles, qu'il partait pour le Tibet : terreur sacrée dans la campagne belge...En réalité, il pensait plutôt rester quelques temps en Inde et venir entre autres me visiter. L'autre psychiatre m'a dit que ce qu'il remarquait le plus dans l'évolution générale de la pathologie de ses patients, c'était la tendance toxicomaniaque au sens large. Ses clients voulaient tout tout de suite, ne savaient absolument pas attendre, et cela les rendaient malade.

ll s'agit certainement d'une intériorisation de l'attitude de parfait consommateur prônée par le système, et là, la méditation a un rôle a jouer : en revenant constamment à l'intérieur, elle neutralise le réflexe d'extériorisation immédiate à la base de l'esprit de consommation.

Il y a un petit fait qui m'a amené à prendre conscience du changement d'époque que nous vivons. J'ai correspondu un petit peu avec une personne âgée qui habite un village perdu dans le Limousin. Comme elle s'intéressait à l'Inde, je lui ai conseillé d'aller voir Ma Amritanandamayi qui passe tous les ans près de Saintes. Elle m'a répondu ' je suis au courant, j'ai ma voisine qui va la voir'. Une telle réponse aurait été inimaginale il y a une trentaine d'années seulement, où les vieilles dames de la campagne française n'avaient le choix,du point de vue spirituel, qu' entre Monsieur le Curé ou rien.

J'ai aussi rencontrés deux vieillard qui avaient oeuvré toute leur vie dans le sens d'une spiritualité indépendante. J'ai senti qu'ils voyaient que je travaillais dans le même sens et qu'ils souhaitaient vivement me transmettre par l'intérieur ce qu'ils avaient réalisé. Cela m'a donné de la force; connaissant les valeurs du monde traditionnel, je sais que la bénédiction d'un ancien qui a l'expérience est une aide puissante. Ce que j'ai ressenti durant ces quatre mois, c'est la recherche chez les gens d'une philosophie de la vie qui soit à la fois spirituelle et pratique. Les instructions qui viennent du Vatican sont reçues comme arrivant d'une autre planète, la philosophie universitaire tourne en rond dans des élaborations de systèmes fumeux ou en ressassant indéfiniment sa propre histoire. Pour les grecs comme pour les orientaux par contre, la philosophie est trés liée à une discipline de vie visant directement et concrètement à une amélioration de l'individu. C'est cela qu'il faut redécouvrir, ou réinventer d'une manière ou d'une autre. Une dernière remarque pour terminer cette réflexion sur les 'immédiatiques': bien que sachant suffisamment ce qui se passait dans le monde, ils ne regardaient pas, ou si peu que pas, la télévision.

Eloge de la diversité

 - Les tempéraments et itinéraires intérieurs des êtres sont fort variés, le mieux est donc que les groupes spirituels eux-même soient aussi variés. Certes, le pouvoir central quel qu'il soit sera plus à l'aise en ayant en face de lui une religion centralisée. Avec l 'Eglise catholique, on sait qu'on peut envoyer un Ambassadeur auprès du Vatican; mais avec la mosaïque de groupes actuels, à qui va-t-on pouvoir envoyer un ambassadeur? C'est vrai que c'est un problème pour l'administration... Je pense néanmoins que les grands monopoles, en religion comme en économie, tuent la vitalité de la base. Malgré toutes les persécutions, la pratique chrétienne en Russie est d'environ 6%; en France, les catholiques pratiquant régulièrement sont tombés à 2%, Cherchez le Staline, où est-il? On dit dans la théorie générale des systèmes que c'est dans des états en bordure du chaos qu'il y a le plus de chance de créer de nouveaux systèmes stables, de passer à un niveau organisationnel plus élevé; je crois que c'est ce que nous sommes en train de vivre actuellement en Occident dans le domaine spirituel, et que c'est une période riche de promesses. Le système religieux hindou n'est pas centralisé, et pourtant il a une vitalité considérable. Cela doit nous faire réfléchir.

Une autre facette de la mouvance spirituelle actuelle qui m'a frappée, c'est le nombre de femmes qui y participent de façon active. Les Jungiens parleraient d'un retour de l'anima dans la société : elle en a bien besoin. Je sais qu'une question légitime qu'on se pose est de savoir si la baisse d' influence d'une religion centralisée ne va pas encourager , l'émergence de sectes. C'est un fait, mais leur présence même favorise une responsabilité du public, et l'amène à développer son discernement. A toutes les époques, il a certaines catégories de gens (les psychopathes par exemple) qui fonctionnent mieux dans des groupes à la structure disons musclée. Sinon, ils versent facilement dans la toxicomanie ou la délinquance. Je pense qu'il a existé de telles groupes au sein de l'église catholique, maintenant ils existent aussi à l'extérieur. Pour éviter les groupes franchement défiants, la police et la justice sont là, de même que dans les autres corps de métiers; j'ai recontré certains groupes qui avaient reçu une visite des renseignements généraux pour savoir ce qu'ils faisaient : après s'être informé poliment, ils sont repartis en s'excusant. Je n'ai pas vu de groupe où les choses aient été plus loin; nous sommes heureusement en démocratie, et la police pour agir a besoin de motifs vraiment sérieux et fondés; un peu d'agitation médiatique ne suffit pas. Il est peut être plus difficile d'obtenir pour des réunions spirituelles des salles d'université ou de municipalité, mais celà dépend en fait beaucoup des relations avec les autorités locales. Qui plus est, ceux qui organisent des activités spirituelles ont en général l'habitude de se débrouiller sans subventions.

Les organisateurs de stage se plaignent d'une baisse de la demande, mon idée est qu'il pourrait s'agir aussi plutôt d'une augmentation de l'offre par rapport à une demande qui n'est, elle, pas illimitée. C'est une tendance qui remonte déjà à un certain temps. Par ailleurs, le fait que nombre de gens soient en difficulté économique ne favorise pas non plus le développement indéfini de la 'culture des stages'; il faut aussi ajouter que ceux-ci sont faits surtout pour les débutants; Ce n'est pas un but en soi de faire des stages toute sa vie; Une fois qu'on a trouvé sa voie, on travaille en lien avec son maître spirituel ou la communauté à laquelle on appartient, cela devrait en principe suffire. Ceux qui ont une discipline dans leur pratique peuvent beaucoup progresser en n'allant qu'à un petit nombre de stages. Il est naturel d'aimer se réunir pour pratiquer, mais ces réunions peuvent être tout à fait indépendantes de stages formels et payants.

On ne comprend en général qu'imparfaitement comment un état spirituel se communique. Ce n'est pas forcément dans un contexte formel. Nombreux sont ceux qui témoignent par exemple avoir reçu de Ma Anandamayi une initiation par le regard lors d'un voyage en train avec elle ou sur un quai de gare.

Réseaux

 Les réseaux ont toujours existé dans le domaine religieux et spirituel : par exemple les confréries, congrégations, ordres, et tiers-ordres au Moyen-Age. Le fait de se réunir avec un but spirituel commun est encouragé dans toutes les traditions. La particularité de l'époque moderne est bien sûr la rapidité et la qualité des moyens de communication qui permettent d'organiser relativement rapidement des réseaux transnationaux ayant une grande spécifité. Ces possibilités démultipliées de communication transversale me paraissent importantes pour le développement d'une spiritualité indépendante. L'absence de communication facile entre les parties favorise au contraire le maintien d'une structure à type de hiérarchie pyramidale et de monopoles médiatiques. Le grand instrument d'une dictature est une main-mise sur les moyens de communication. On peut espérer raisonnablement que le développement de la communication de réseaux transversaux limitera la dictature, non seulement policière, mais aussi la dictature des idées maintenue par des medias générales ou spécialisées au main d'un petit nombre. Certes, pour une relation spirituelle authentique, un contact réel pendant quelques temps est indispensable; mais un réseau peut aider à s'orienter au début. Il y a par exemple l'Association Internationale de Psychiatrie Spirituelle qui a entamé un forum internet qui est assez fréquenté. Il se met en place également un forum avec Intuitions magazine, dans l'esprit humaniste et spirituel du journal édité en Belgique. Dominique Vaudoiset, que j'ai rencontrée durant mon sejour en France, met elle sur pied un programme ambitieux. Constatant que l'informatlon de la grande presse est polluée par la négativité, elle veut tout d'abord lancer dans le circuit une base d'informations positives, et en recevoir elle-même un bon nombre par réciprocité. Ce sera une agence de bonnes nouvelles et de nouvelles idées pour promouvoir des sociétés alternatives. Il y aura plusieurs rubriques, y compris une pour l'emploi. Des correspondants du réseau sont présents à Genève, Bruxelle et Montréal. Une fois que le volume d'informations intéressantes sera suffisant, une sélection en sera présentée dans la presse écrite. Le nom de ce réseau Internet est Polyglobe.

Pour une éthique du milieu spirituel

 J'ai pu constater à nouveau durant mon récent voyage en France qu'un enjeu clé de l'évolution actuelle est de réussir un changement de paradigme en ce qui concerne la notion de responsabilité individuelle. Beaucoup ne croient plus au péché, à l'enfer ou au paradis, 93% estimaient qu'ils avaient de bonnes chances d'y aller; cette autosatisfaction incertaine laisse planer des doutes sur l'effet de responsabilisation de ce genre de croyance... En France, 24% des gens croient à la réincarnation, et ce chiffre chez les jeunes (16-34 ans) dans d'autres pays européens monte à 38%. Cela ne signifie pas non plus, qu'une croyance au karma reconnue intellectuellement seulement ou du bout des lèvres suffira à donner un sens aigu de leur responsabilité aux individus. Et sans ce sens, l'intensité dans la pratique spirituelle manquera.

Une autre qualité qu'il me semble important de développer, c'est le sens du but de la voie spirituelle, un sens aigu j'aurais tendance à dire là encore. Il ne suffit pas de déclarer vaguement qu'on cherche le salut ou la libération, il faut reprendre cette direction régulièrement, comme un navire fait le cap.

Une règle éthique nécessaire pour les enseignants spirituels, en particulier ceux qui enseignent la voie de l'immédiat (védanta, zen) est de ne pas déstabiliser des élèves qui ne sont pas prêts pour cela. Déstabiliser est un exploit qui n'est guère difficile, il suffit de remettre en question quelques évidences premières, mais l'élève croira en général après cela que tout ce vaut et qu'il peut faire n'importe quoi: d'où complications.

 Nous étions en mai à Avignon pour une grande conférence, débat avec Marc de Smedt et Annick de Souzenelle. Celle-ci faisait remarquer qu'en allant faire des conférences de par la France, elle recevait les confidences de nombreuses personnes, et elle trouvait que ces celles-ci avaient souvent une sexualité triste. Serait-ce parce que elles la considèrent comme une fin en soi, et qu'elles ne peuvent la relier réellement à une expérience qui la dépasse, celle de l'amour mystique par exemple?

Pratique

 Je connais dans le village indien où je vis une femme qui fait quatre heures de pratiques spirituelles le matin avant d'aller à son travail, enseignante à mi-temps, et trois heures l'après-midi. Elle a certainement une présence spirituelle dans le village, mais elle ne prétend rien enseigner à personne, elle mène simplement une vie intérieure intense; malgré la pauvreté relative, elle a un salaire faible, elle tient bon dans sa pratique et elle éduque correctement son fils unique qui est maintenant étudiant. Les moines chrétiens prient au moins cinq fois par jour, les musulmans, sans être moines, le font également. Je pensais qu'il était compréhensible, avec toutes les contraintes du monde moderne et la crise, que l'occidental essayant d'être sur une voie spirituelle médite assez peu; de fait, dans toutes mes périgrinations, je m'enquérais discrètement de la pratique des personnes que je rencontrais : je n'en ai trouvé que deux -deux femmes - qui méditaient trois heures ou plus quotidiennement. Ce qui m'a fait sourire, c'est de lire à la même période une statistique montrant que les Français regardaient en moyenne par jour trois heures la télévision, écoutaient deux heures la radio et consacrait trente-sept minutes à lire la presse écrite. On peut dire qu'il est un grand mystique de la communication; par contre, on ne peut pas dire que la moyenne des chercheurs spirituels soient de grands mystiques de la communication avec eux-mêmes... Tout le monde me disait avec un air entendu :'oui, mais moi, je médite dans l'action': mais si l'on est honnête, on s'apercevra que même quand on est assis avec une seule chose à faire, méditer, l'esprit part dans tous les sens; comment pourrait-il être convenablement maîtrisé dans l'action, pour que celle-ci puisse mériter le qualificatif de 'méditation dans l'action?' Il est vrai qu'à court terme ou en période de crise, il peut ne pas être facile de se défaire d'un emploi du temps chargé; mais à long terme, on peut y arriver si on le souhaite. Il est vrai aussi que la véritable méditation vient de la qualité plus que de la quantité, mais en avoir une quantité régulière quotidienne aide bien malgré tout au progrès spirituel. Une personne chez laquelle j'avais été animer un stage m'a demandé qui elle pourrait faire venir par la suite pour donner un stage de méditation. Après avoir cherché dans mon esprit, je lui ai indiqué une de ces deux personnes mentionnées plus haut qui méditaient plus de trois heures par jour. Elle suivait un maître spirituel bouddhiste depuis longtemps et avait à mon sens une vie cohérente avec sa démarche. Elle n'était pas chargée de diplômes universitaires, elle était infirmière au depart et avait appris à aider les gens par des techniques de relaxation et de visualisation; pour donner un enseignement même bref à propos de la méditation, le meilleur critère me semble encore de la pratiquer suffisamment chaque jour, et suffisammment régulièrement.

Un des facteurs principaux qui a été à l'origine de la Renaissance a été la redécouverte de la richesse de l'héritage païen. Il me semble que nous vivons une renaissance redécouverte, analogue de nos jours, celle de l'héritage spirituel d'autres traditions religieuses anciennes, dont certaines comme l' hindouisme et le bouddhisme sont toujours bien vivantes actuellement. Derrière la grande diversité de visages et d'itinéraires que j'ai pu rencontrer durant ces quatre mois consacrés à parcourir la France, la Belgique et la Suisse, que je rencontre aussi quand je suis en Inde, je perçois une unité de recherche : elle part de l 'humain et va vers le divin. J'ai souvent pensé à la réponse de Ma Anandamayi quand on lui a demandé si elle n'était pas fatiguée, lors de ses longues pérégrinations, par les innombrables nouveaux-venus qui arrivaient pour la voir. Elle a répondu simplement :' Pour moi, il n'y a pas de nouveau-venu.'

Par Jacques VIGNE.



 
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