Parti en Inde pour un simple voyage
d'étude, il y vit depuis plus de dix ans... Ce médecin psychiatre
de formation, adepte de l'école hindouiste vedanta, passe le plus
clair de son temps en méditation. Non pas dans son sens occidental
de réflexion intellectuelle sur un sujet précis, mais dans
son acception orientale de contemplation, de conscience au-delà
des formes. Il n'a pas cependant oublié sa vocation première
puisqu'il se consacre également à l'étude comparée
des rôles du gourou et du psychothérapeute... Rencontre.PROPOS
RECUEILLIS PAR JEAN-CLAUDE NOYÉ
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Qu'est-ce qui vous a amené à vous intéresser de prés à l'Inde ?
Avant de faire médecine, j'ai pratiqué le chant grégorien puis le yoga. Et avant mes études de psychiatrie, je méditais déjà. Ce souci d'avoir une approche de l'esprit qui ne soit pas simplement théorique ne m'a plus quitté. J'avais ailleurs remarqué que certaines techniques corporelles issues du yoga, comme la relaxation thérapeutique, exercices de visualisation, pouvaient beaucoup apporter à la relation thérapeutique avec mes patients.
Est-ce pour cela que vous avez décidé, de vivre en Inde ?
J'ai eu envie d'approfondir cette relation thérapeutique en la confrontant à la traditionnelle relation d'aide du gourou à son disciple. Mais aussi par amour profond de la méditation, afin de pouvoir la pratiquer dans de bonnes conditions. Depuis dix ans, je passe le plus clair de mon temps en Inde. Je médite parfois jusqu'à dix heures par jour, j'alterne périodes d'écriture et de retraite en donnant de plus en plus la priorité à cette dernière.
Comment faut-il comprendre le mot méditation ?
La méditation ne doit pas être entendue dans le sens restreint qu'il a en Occident de réflexion intellectuelle sur un sujet précis. Le mot "contemplation", conscience au delà des formes, est ce qui s'apparente le plus au mot dhyana: méditation en sanskrit.
Je suis la voie dite du védanta, qui est non-dualiste. Le védanta vise à faire prendre conscience de notre identité profonde, masquée par notre moi illusoire, grâce à la question << Qui suis-je ? >> méditée indéfiniment. On observe son propre mental selon divers fils conducteurs, dont l'écoute attentive du souffle. Le védanta est une voie de la Connaissance qui n'implique pas la reconnaissance d'un Dieu personnel et selon laquelle le "je", le monde et Dieu sont non pas des substances séparées mais une seule substance.
Avez-vous un maitre spirituel ?
Je vis depuis cinq ans auprès de Vijayananda, - littéralement « Félicité de la victoire complète » -, un médecin français qui habite depuis quarante-cinq ans en Inde. C'est l'occidental qui a été le plus proche de la grande sainte indienne Mâ Ananda Moyi.
Choisir un maitre français, en Inde, n'est ce pas paradoxal ?
Non, parce que nous avons une même culture de base et que, ce faisant, il peut me faire bénéficier plus facilement de sa propre expérience de l'Inde et du yoga. Une expérience comme peu d'Indiens en ont. A bien des égards, elle est plus intense que celle de beaucoup de gourous indiens.
Avez-vous renoncé à vos sources chrétiennes pour vous convertir à l'hindouisme ?
J'ai été baigné dans une ambiance chrétienne dès l'enfance et je me suis intéressé à la vie monastique. J'ai même passé, lors de plusieurs retraites, près de six mois au sein du monachisme bénédictin. Mais aujourd'hui je ne me sens identifié ni au christianisme ni à l'hindouisme. Le plus grand service qu'une religion peut rendre à ceux de ses fidèles qui ont une vocation mystique, c'est de les mener au-delà d'elle-même. Les religions du Livre ont sans doute plus de mal à accepter cela. Alors que l'hindouisme et le bouddhisme admettent et reconnaissent plus aisément la suprématie de l'expérience de l'Un au-delà des formes, des dogmes et des rituels. Du point de vue relatif, chaque religion a ses défauts et ses qualités. Je suis convaincu qu'on peut arriver à l'Absolu par chaque tradition spirituelle mais aussi que l'Absolu est au delà d'elles.
C'est ce qui vous a amené à comparer les spiritualités entre elles ?
Dans un système se trouve clairement explicité ce qui n'est qu'implicite dans l'autre et vice versa. L'effort de compréhension entre les religions est un des actes les plus noblement religieux aujourd'hui. En ce qui me concerne, le simple fait d'être un étranger en Inde m'a amené une solitude de fait, physique, psychique et spirituelle. Ce retrait, plus difficile à obtenir dans son milieu d'origine, est une aide pour mieux comprendre le fonctionnement réel de son esprit. Les Pères du désert le recommandaient et l'appelaient xeniteia, la vie à l'étranger.
A partir d'un parallèle entre Orient et Occident, vous évoquez la " normose ", caractéristique de ce dernier. Qu'entendez vous par là ?
La différence de fond entre la psychologie traditionnelle, surtout en Orient, et la psychologie moderne, est que cette dernière se fixe pour but un retour à la normalité. Alors que la psychologie traditionnelle est fondée sur une idée évolutive de l'être humain dont le terme est l'être parfait: Al insan al kamil dans le soufisme, jivan mukta (libéré vivant) dans l'hindouisme, pratyeba-buddha, bodhisattva dans le bouddhisme, saint dans le christianisme, etc. Pour la psychologie traditionnelle, le retour à la normalité n'est pas le but recherché, car tout le monde souffre d'une "normose", c'est-à-dire que chacun est normalement malade ou, plutôt, normal à en être malade. Sauf le saint. La véritable maladie du "normosé", c'est son absence de désir d'évolution intérieure, spirituelle.
Parlant de maladie spirituelle, y aurait-il une névrose de l'intégriste ?
Ce n'est pas par excès mais par défaut d'une expérience spirituelle authentique que l'on est ou devient fanatique. Ce manque peut être source d'une colère contre soi refoulée et retourné contre l'autre, selon
un processus paranoïaque connu. Le fanatique veut imposer aux autres par la violence l'idée qu'il se fait de la pureté alors que le saint recherche celle-ci pour lui-même, dans un contexte non-violent. Plus globalement, je pense qu'une vision synthétique de la vie intérieure, qui lie les approches psychologique et religieuse, peut être une bonne prévention contre les blocages intégristes.
Qu'est-ce qui structure votre þuvre ?
Mes livres suivent une progression logique. Si l'on veut aller loin dans la connaissance de soi, il importe de savoir déjà si l'on a besoin d'aide ou non pour y arriver, et qui est compétent pour donner cette aide. D'où mon premier livre le Maître et le thérapeute. Ensuite j'ai voulu articuler, dans Eléments de psychologie spirituelle, trois grandes approches de l'esprit: la vision chrétienne, celle de la psychologie occidentale et celle de la psychologie orientale, que j'ai limitée au bouddhisme et à l'hindouisme. Pour le dernier livre, Méditation et psychologie, le sujet s'est imposé de lui-même, étant donné ma formation et mon goût personnel pour la méditation. En outre, durant les stages et les conférences que j'anime pendant les courtes périodes où je suis de retour en France, j'ai remarqué que beaucoup de gens étaient intéressés par les liens entre méditation et psychologie, que beaucoup vont de la thérapie à la méditation et vice versa.
Comment s'articulent-elles ?
En principe, les trois approches psychologique, religieuse et spirituelle devraient pouvoir coexister. Mais beaucoup de méditants doivent affronter des tensions. La méditation permet de leur faire face, non de les résoudre immédiatement. Un débutant pourra se faire aider par un thérapeute qui a une connaissance suffisante de la méditation. Mais pour une pratique intensive, il faut rechercher un maître spirituel. La psychothérapie est une préparation à la méditation en ce qu'elle crée une intériorisation, qu'elle amène la conscience à osciller entre les images verbales et leur verbalisation. La méditation continue et approfondit ce processus en faisant osciller la conscience entre les images mentales et les sensations. Elle peut alors faire en sorte que ces sensations ne se relancent les unes les autres et induire un état de calme à la source de nos meilleures intuitions. Un état d'arrêt du mental, selon la définition du yoga. C'est dans ce repos que s'ouvre une perspective sur le divin. Au début des Aphorismes du yoga, Pataujali écrit: .. Faites silence et sachez que je suis l'Éternel. »
La méditation peut-elle prévenir certaines dépressions ?
Oui. En revenant chaque jour à la source du bonheur qui est au-dedans, on évite une accumulation de sentiment de frustration interne. Comme l'enfant, nous avons à l'intérieur de nous-même des variations d'humeur et d'émotions fortes et rapides, même si elles sont recouvertes d'un vernis d'humeur égale qui permet de vivre en société. La méditation, précisément, rend capable de reconnaître ces variations rapides ou ce qu'on appelle les paires d'opposés (envie/dégoût, plaisir/douleur,... ). En Inde, on insiste sur la possibilité pour le sage d'aller au-delà. Plus globalement, je dirais que la méditation est libératrice par le lâcher prise qu'elle implique. L'esprit de détachement est essentiel. Toutes les traditions mystiques lui accordent une importance centrale. C'est, au fond, ce qui distingue la psychologie de la spiritualité. Quand on acquiert l'esprit de détachement, les tensions psychologiques, même si elles ne s'évanouissent pas du jour au lendemain, prennent une dimension spirituelle. Du reste, amour et détachement ne sont pas à opposer comme on le pense souvent en Occident. Celui qui est attaché à lui-même n'aime que ses propres projections. Les souris disent: " Quand le coeur pleure pour ce qu'il a perdu, I'esprit rit pour ce qu'il a trouvé. ''
Au fond, le psychiatre que vous êtes apparaît très réservé sur l'impact des diverses psychothérapies et méfiant vis à vis du "psvchologisme"...
Je n'ai qu'une confiance limitée dans les thérapies qui vous promettent de résoudre vos problèmes dans un temps bien cadré. A l'inverse, je ne crois pas non plus aux thérapies qui traînent pendant des années. Elles ont pour inconvénient majeur non seulement de coûter cher au patient mais aussi de finir par lui faire croire qu'il représente un cas grave. En outre, pour ceux qui ont des aspirations spirituelles, s'engager dans un travail intérieur à long terme avec un psychothérapeute me semble risqué car ils peuvent tomber sur un thérapeute moins disposé qu'eux à la quête spirituelle, prisonnier de grilles de lecture souvent matérialistes. L'aspiration spirituelle est une petite flamme fragile au début, elle s'éteint facilement. Pourquoi ne pas rechercher directement un enseignant spirituel, même si celui-ci n'a pas atteint la perfection ou est moins attentif qu'un thérapeute au détail des problèmes personnels de son disciple ? Pourquoi ne pas inclure dès le départ les dimensions d'altruisme, de compassion et de transcendance qui caractérisent toute voie spirituelle ? En tout cas, quel que soit le choix, il faut le faire avec discrimination. Le domaine psycho-spirituel est flou au départ, le bon grain est mêlé à l'ivraie.
Qu'est ce qui, précisément, permet de dire d'un maitre spirituel qu'il est authentique ?
Pour faire court, il doit être un véritable renonçant, distant par rapport à l'argent et toutes les séductions de ce monde. Ce qui le caractérise c'est l'absence d'ego et le fait qu'il n'a pas d'attachement excessif à ses disciples. Il ne doit pas chercher à les retenir.
Quels sont les points communs aux relations d'aide entre d'une part le thérapeute et son patient et, de l'autre, le maitre spirituel et son disciple ?
Les éléments les plus ressemblants sont ce qu'on appelle le transfert et la dévotion au gourou. C'est-à-dire que pour une période donnée, on concentre toute sa vie psychologique sur quelqu'un. On projette des choses de son passé sur lui. Puis on est amené à se désidentifier de ces projections et, par la suite, à lâcher prise. Le psychothérapeute comme le gourou, mais plus intensément, tiennent au fond le rôle de la mère. Quand la relation d'aide s'approfondit, le patient et le disciple sentent qu'ils sont l'objet d'un amour de sollicitude.
Retournons la question. Qu'est-ce qui différencie un thérapeute d'un gourou ?
Il faut entendre ce mot au sens noble. Il y a un certain nombre de degrés chez les gourous, depuis l'instituteur jusqu'au grand maître spirituel. Le gourou, dès le départ, cherche à faire aller au-delà de l'esprit dans la mesure des possibilités du disciple. Le thérapeute rentre dans le détail du mental de son patient. Le gourou, lui, montre l'exemple, transmet son énergie. Il suggère parfois à son disciple de modifier son comportement. Le thérapeute voit les problèmes, le gourou voit au travers. L'un est un ami qui supporte, l'autre est le support lui-même. Le thérapeute souligne la nécessité de "faire son deuil", le gourou se place d'emblée dans une perspective de libération. Enfin, différence capitale: pour devenir psychanalyste, il faut environ mille heures. Un "bon" disciple doit consacrer environ trois heures par jour à la pratique de la méditation, en face à face avec lui-même, à observer son propre esprit, pendant un minimum de douze années. L'investissement en temps est donc beaucoup plus important dans la relation entre gourou et disciple.
Quel est, selon, vous, I'avenir de la psychothérapie en Occident ?
La notion de recherche spirituelle sera, je crois, de plus en plus prise en compte. Beaucoup de thérapeutes pratiquent d'ores et déjà la méditation, considérée comme une autoformation permanente. La psychologie transpersonnelle est incluse dans les programmes des universités américaines. Les pratiques de modification de la conscience suscitent un intérêt réel. Si en France l'université est encore un peu rigide, l'ouverture aux connaissances millénaires est en train de s'y faire. Et certaines associations comme l' Association française du transpersonnel, I'Association internationale de psychiatrie spirituelle, l'Association yoga et psychologie et l'ltrec, sont très actives.
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